Billet de Florestan:
Un "patrimoinicide" rue Beauvoisine à Rouen?
"Mal nommer les choses c'est ajouter du malheur au monde". On connaît le mot célèbre d'Albert Camus. Mais il arrive que l'on soit contraint de forger des nouveaux mots pour nommer certaines réalités qu'on refuse de voir notamment pour des raisons idéologiques.
La gauche progressiste militante pour ne pas dire gauchiste est coutumière du fait tout comme tous les pouvoirs faibles qui faute de pouvoir maîtriser la chose dans l'ordre du réel tente de la nommer autrement. Et c'est ainsi que surgissent les "féminicides", le "racisme systémique", le "patriarcat toxique", le "matrimoine", le "sentiment" d'insécurité, la "souveraineté alimentaire", à la suite du "ministère de l'Amour" imaginé par George Orwell qui, le premier, a dénoncé magistralement cette manipulation perverse du langage propre aux féroces idéologies totalitaires de son époque.
Aussi, pour ne pas laisser le monopole dans le débat public du pouvoir moral de définir le bien et le mal à la seule gauche progressiste qui occupe en France depuis soixante ans maintenant tous les pouvoirs de la prescription culturelle et médiatique, certains à droite ou ailleurs ont décidé d'utiliser les mêmes armes:
C'est ainsi que l'on pourra parler de "francocide" lorsqu'un fait divers tragique devient par sa répétition un véritable fait de société notamment dans le hall de nos gares parisiennes ou dans la salle des fêtes d'un petit village rural.
Pour en revenir au patrimoine architectural, culturel ou artistique de la France et de nos régions, un patrimoine qui est aujourd'hui doublement menacé tant par le désengagement institutionnel et financier de l'Etat et de certaines collectivités territoriales que par une certaine perte de sens, de compétence ou de culture, voire une emprise idéologique qui empêchent de le comprendre ou de l'apprécier en tant que tel (c'est ce qui menace, tout particulièrement, le patrimoine religieux et spirituel hérité du catholicisme qui fut notre matrice commune pendant plus de mille ans), il est urgent de ne surtout pas laisser cette gauche culturelle toute puissante poursuivre un vandalisme patrimonial dont la scène inaugurale fut le saccage révolutionnaire commis par les militants du parti Jacobin du citoyen Robespierre:
Il faut donc un mot pour dire la chose et le mot "patrimoinicide" fera parfaitement l'affaire s'il s'agit de décrire comme il convient la volonté du maire socialiste d'une grande ville historique normande passablement défigurée par les bombes de la Seconde Guerre mondiale et par le béton de sa Reconstruction de corriger de façon volontariste, à la soviétique, pourrait-on dire, une masse critique patrimoniale d'héritages historiques, culturels, artistiques, scientifiques, littéraires ou spirituels bien trop importante ou complexe à appréhender pour des cerveaux simplifiés par l'usage immodérée d'idées trop claires:
En leur temps, un Voltaire ou un Rameau raillaient déjà pour cette terrible raison le pauvre Jean-Jacques Rousseau qui est le véritable père de toute cette gauche idéaliste, athée et rationnelle à la française, dite des "Lumières", mais qui fut surtout post-chrétienne et qui ne fut capable que d'une seule chose depuis plus de deux siècles:
Paver tous les enfers possibles de toutes les bonnes intentions possibles parce pour cette gauche des idées claires et simples, la fin peut justifier tous les moyens.
C'est pour cette tragique raison qu'un Albert de Camus se révoltera un jour contre un certain Jean-Paul Sartre en affirmant qu'il serait plus révolutionnaire de faire le contraire: les moyens devant toujours justifer la fin.
A Rouen, le dossier qui fait scandale c'est le projet de rénovation du "pôle muséal" (sic!) Beauvoisine pour ne plus avoir à dire "musée des antiquités" ou "muséum" d'histoire naturelle.
En l'occurrence, la fin qui justifie tous les moyens consiste à sérieusement moderniser une vieillerie, une brocante dont ils ne savent plus que faire, pour la transmettre au plus large public dans une logique d'égalité fraternelle et démocratique alors qu'une véritable et authentique politique publique culturelle consisterait plutôt à faire le contraire en transmettant un héritage, en le préservant dans son intégrité afin d'offrir son témoignage précieux à des générations nouvelles qui doivent être, peu à peu, éduquées et sensibilisées par une instruction publique de qualité pour le recevoir et l'apprécier en tant que tel.
C'est ce que voulait André Malraux quand il prit les rênes du ministère de la Culture au début de la 5ème République: développer et diffuser sur le territoire national une politique d'éducation populaire pour que l'offre d'un patrimoine culturel exceptionnel par sa qualité et sa densité, notre beau trésor de France, soit apprécié et respecté donc transmis aux générations futures.
Bref! c'est tout le contraire de l'actuelle politique de la demande ou d'une soi-disant demande qui sombre trop souvent dans la démagogie ou dans toutes les manipulations lucratives, idéologiques ou narcissiques de tel ou tel potentat qui veut imposer son projet à la collectivité.
En ce début d'année 2024, après le retrait des hautes eaux médiatiques de la candidature de Rouen au titre de capitale européenne de la culture en 2028, on découvre sur l'estran ainsi mis à découvert, le forfait et son cadavre made in IKEA trouvé dans une salle de sport ou sous la table style planche de surf en bois lamellé-collé d'un "open space" pour "co-workers"...
Un "patrimoinicide", dans ces hauteurs urbaines et historiques rouennaises dont la densité patrimoniale avait pu échapper, par miracle, aux grandes brûleries de la dernière guerre mondiale.
Eu égard à la sensibilité écolo-socialiste de l'actuel premier magistrat de cette bonne ville de Rouen, on finira ce billet d'humeur avec une autre image:
Figurez-vous une compagnie de bûcherons au coeur d'une forêt primaire encore préservée justifiant la création d'une clairière afin d'y installer des panneaux solaires ou des éoliennes au nom de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique...
Ci-après, on lira avec consternation et colère le témoignage et les analyses de l'association "Urgences patrimoines" présidée par Alexandra Sobczak:
Un patrimonicide au service du vide (urgencespatrimoine.fr)
Un patrimonicide au service du vide
La Métropole a présenté jeudi dernier au public le projet du pôle muséal avec les responsables (architectes, conservateurs, responsables des musées…). Nos attentes n’ont pas été déçues. A aucun moment de leur conférence, ils n’ont évoqué le Muséum d’histoire naturelle, ni présenté la moindre photo des magnifiques galeries et de toutes les salles du XIXe siècle (plus d’une dizaine) que la Métropole s’apprête à détruire.
L'association "Urgences patrimoines" nous alerte sur les menteries habituelles des réunions publiques de concertation (un mot qui commence mal...):
Pôle Muséal Beauvoisine: c'est beau mais c'est faux (urgencespatrimoine.fr)
Comme d'habitude, les concertations publiques n'attirent pas grand monde et les éléments peu significatifs qui peuvent en sortir sont dévoyés et manipulés par le pouvoir politique maître d'oeuvre du projet:
Pôle Muséal Beauvoisine: Beaucoup de questions attendent des réponses (urgencespatrimoine.fr)
Sur l'antenne locale de RCF il fut question de ce sujet:
Une pétition pour préserver le Muséum d'Histoire Naturelle de Rouen | Parlons-en ! | RCF Haute-Normandie
Enfin, l'association "Urgences patrimoine" vient d'alerter la nouvelle ministre de la Culture Rachida Dati qui a récemment montré son intérêt pour l'intégrité du patrimoine architectural culturel et scientifique français en sauvant le "pavillon des sources" qui fut l'ancien laboratoire de Marie Curie.