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Pierre ALBERTINI au séminaire Normandie de l'UP CAEN: habiter la Normandie après 2040 face aux défis de la crise démographique.
Billet de Florestan:
Le débat public éclairé et contradictoire, une valeur normande...
Avant de se lancer des anathèmes à la figure, avant de dérouler sur des réalités toujours plus complexes et subtiles un argumentaire simple mais préfabriqué sous prétexte de peindre en virtuose un tableau de synthèse, il faut débattre. Tout mettre sur la table, ne serait-ce que pour se mettre d'accord sur tous les faits de la réalité, les faits qu'on attend, qu'on chérit même et les mauvais faits, tous ces faits inconfortables, impitoyables, avec notre bonne conscience ou nos certitudes.
Hannah Arendt nous rappelle, en effet, qu'un vrai débat public politique ne peut être fondé que sur les faits en laissant de côté nos biais idéologiques qui nous éloignent parfois dangereusement de la réalité et des vrais dilemmes qu'elle nous impose. De même, Charles Péguy rappelle aux journalistes et à tous ceux qui prétendent être les intellectuels du réel, de dire ce que l'on voit et surtout, le plus difficile à faire: voir ce qu'il y a à voir...
La nécessité d'un débat contradictoire éclairé avant toute décision ou jugement définitif était un principe central du droit normand et de ses diverses procédures: il en resté une sorte d'atavisme culturel normand pour la lucidité critique et pour la réflexion et le temps de bien réfléchir jusqu'au dernier moment avant d'agir, d'où, probablement, la fameuse "réponse de Normand" du "ptêt ben qu'oui, ptêt ben qu'non" puisque le droit normand accordait à tout justiciable le droit à un délai de réflexion de plusieurs jours avant tout accord contractuel définitif.
Ces valeurs normandes sont devenues précieuses par les temps qui courent où la liberté d'opinion tend à se réduire comme peau de chagrin alors que c'est une nécessité vitale pour la démocratie que de toujours s'en servir: c'est à l'aune de ces valeurs et de ces principes que le séminaire Normandie a été établi il y a maintenant quinze ans au sein de l'Université populaire de Caen afin d'ouvrir un libre espace d'opinion et de réflexion chez nos concitoyens intéressés par les affaires publiques de notre région.
Pour cette nouvelle session annuelle, notre séminaire abordera la question essentielle et sensible de l'avenir même de la population normande à l'aune de réalités plutôt inquiétantes et de grands défis à relever:
D'un mot: comment assurer la vitalité, l'attractivité sinon l'avenir de la société civile normande et de notre économie régionale face aux défis d'une démographie vieillissante et changeante d'une part et face aux défis de la révolution numérique en cours, d'autre part, avec l'irruption de l'intelligence artificielle.
Pierre Albertini, invité exceptionnel du séminaire Normandie de l'Université populaire de Caen pour sa session 2023-2024
Pour illustrer la première partie de notre questionnement, nous avons le grand plaisir et l'honneur de recevoir dans notre séminaire pour sa séance inaugurale, Monsieur Pierre Albertini, le grand témoin de l'action publique normande dans les années 2000 qui fut maire de Rouen de 2001 à 2008 mais qui est, surtout, un juriste versé dans le droit public qui a fait ses premières études dans notre alma mater caennaise et normande avant de poursuivre sa carrière universitaire à l'université de Rouen en tant que spécialiste du droit constitutionnel, un parcours qui ne laissera donc pas indifférent tout fin connaisseur de la matière normande. En tant que chercheur, Pierre Albertini s'est intéressé au droit des collectivités territoriales, au droit de l'urbanisme et de l'environnement, matières déjà connues et explorées par le droit et la jurisprudence normandes d'avant 1789!
De l'engagement politique de notre invité, on rappellera qu'il fut d'abord élu au conseil municipal de Mont-Saint-Aignan avant de s'engager en 1979 aux côtés de Simone Veil sous l'étiquette UDF lors des premières élections européennes de l'Histoire. Dans les années 1990, Pierre Albertini fut élu député de la Seine-Maritime et fut vice-président de la commission des lois mais aussi juge à la Haute-Cour qui a le pouvoir de destituer le chef de l'Etat: tout ce beau parcours institutionnel montre l'attachement de Pierre Albertini à l'idée d'un état de droit distinct du pouvoir exécutif politique et garant de son bon fonctionnement et vice-versa! Là encore, nous oserons y trouver un heureux tropisme normand si l'on considère que la Normandie ducale et royale avait inventé avant l'heure un authentique "patriotisme constitutionnel".
Enfin, Pierre Albertini fut maire de Rouen de 2001 à 2008 en plaçant ses pas dans ceux de Jean Lecanuet avec la réalisation de projets concrets au service des habitants dans le domaine des transports ou de la culture avec, notamment, le projet d'une grande médiathèque qui hélas ne verra jamais le jour car il aurait fallu pouvoir faire un mandat de plus dans un monde politique national qui est tout sauf idéal si l'on considère que l'échelon national c'est surtout l'échelon parisien avec toutes les coteries qui y prospèrent...
Pierre Albertini fut aussi le préfigurateur de l'actuelle métropole de Rouen lucide en cela sur la question de faire vivre une authentique souveraineté territoriale rouennaise et normande en aval de Paris selon cette logique girondine qui nous est chère...
Pour en savoir plus, on se reportera au "Destin rouennais" ce beau livre consacré par notre invité à sa bonne ville de Rouen en 2007.
Après cet échec, Pierre Albertini se retire de la vie politique nationale non sans garder une certaine influence pour soutenir certaines personnalités ou défendre avec courage les valeurs humanistes les plus essentielles sinon les plus centrales alors que certaines questions dites sociétales n'étaient pas encore idéologiquement instrumentalisées comme elles peuvent l'être aujourd'hui.
Aujourd'hui, Pierre Albertini est président de l'université populaire de Rouen depuis 2018.
Par ailleurs, depuis plus de quarante ans, Pierre Albertini a écrit de nombreux ouvrages sur la thématique fondamentale de l'articulation entre le droit public et le pouvoir politique avec, il faut bien le dire, une vision de lanceur d'alerte sur la crise dans laquelle nous sommes désormais, à savoir une confrontation stérile et dangereuse entre état de droit et état régalien à l'échelle française et européenne qui inquiète ces temps-ci un Marcel Gauchet. Mais c'est un autre sujet! Quoique...
Car si nous avons invité Pierre Albertini sur la thématique d'un séminaire consacré à l'avenir d'une population, composante du peuple français habitant une géo-histoire millénaire dont le nom nous raconte l'épopée de l'intégration réussie à la civilisation commune d'Hommes étrangers venus du Nord, c'est que Pierre Albertini nous vient de l'autre côté de la Méditerranée: il est né sous ce beau jour algérien qui découpe la réalité avec autant de vérité que de cruauté comme un Albert Camus l'avait fait sur la question vitale de la possibilité de vivre ou non ensemble lorsque des civilisations peuvent aussi s'affronter avec des conceptions foncièrement différentes de l'être humain derrière les oripeaux habituels du conflit politique.
En effet, le moment est venu d'une utile confrontation ou d'une discussion courtoise pour exposer tous les points de vue possibles sur l'avenir de la population normande.
Voici donc sans fard les éléments du débat:
Le Conseil Economique Social et Environnemental Régional chargé des études prospectives en tant que seconde assemblée institutionnelle normande représentant la société civile régionale organisée (associations et syndicats) vient de produire une grande étude sur l'avenir de la population normande:
"Habiter la Normandie en 2040"
CESER Normandie sur LinkedIn : Mag Rouen - Le rapport "Habiter en Normandie en 2040"
Voir aussi:
Fiche de synthèse HABITER .pdf (normandie.fr)
Ce grand exercice prospectif se propose de faire un état des lieux complet de la population normande alors que monte depuis plusieurs mois dans le débat public régional l'inquiétude des élus locaux et des décideurs sociaux sur les conséquences à moyen ou long terme d'un hiver démographique normand à la suite de plusieurs alertes publiées par l'INSEE Normandie qui documentent le vieillissement accéléré de la population normande par la chute conjointe de la natalité depuis le début des années 2000 et d'une augmentation de la mortalité renforcée par une immigration résidentielle importante de retraités mettant en pratique le programme de Frédéric Bérat: "j'irai revoir ma Normandie" pour y finir ma vie...
Ces tendances négatives sont, en outre, renforcées par un fort exode des jeunes Normands ayant fait des études supérieures ou voulant en faire dans des métropoles régionales voisines de la Normandie ou dans la région parisienne.
Seul point positif: depuis la réunification normande, on note un début de retour au pays qui concerne aussi les actifs qui ont fait leurs études et ont leur situation professionnelle avec le projet d'une vie familiale qui serait plus facile à mettre en oeuvre dans les villes moyennes normandes plutôt que dans certaines grandes métropoles régionales.
Mais l'INSEE Normandie a prévenu: si l'on projette les tendances actuelles, la population normande passerait sous la barre des trois millions en 2070.
Pour l'instant, les grands décideurs publics normands, le préfet et le président de région, les cinq présidents départementaux ou les trois grands maires et présidents des trois premières agglomérations urbaines normandes n'ont pas eu l'air de prendre cette urgence à- bras- le corps en réunissant, par exemple, la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) qui a, pourtant, été prévue par le législateur de la réforme régionale de 2015 pour anticiper tous les grands enjeux du bien commun régional.
Face à ce défi démographique, la prospective du CESER se propose donc de diagnostiquer la question de l'habitat des Normands selon six thématiques structurantes et deux problématiques transversales:
1) Le logement et sa qualité pour loger tous les Normands.
2) L'aménagement du territoire normand et l'accès de tous à tous les services.
3) La qualité de la vie dans les villes normandes.
4) La mobilité choisie ou subie des Normands et la nécessité d'un complet désenclavement.
5) Le rapport au travail, élément majeur de la qualité de vie des Normands.
6) L'avenir du secteur du BTP normand à l'aune des nouvelles contraintes énergétiques.
Ces six thématiques sont croisées par deux grandes problématiques transversales:
1) Le vieillissement de la population normande et ses conséquences concrètes sociales et politiques mais aussi anthropologiques.
2) l'impact social de l'insécurité climatique sur l'habitat des Normands.
Les analyses et constats ou solutions proposées par le CESER ne sont pas dépourvues d'intérêt, bien au contraire.
Mais le problème de l'avenir de la population normande dépasse de loin la seule préoccupation, certes centrale, de trouver à bien se loger, à trouver un bon travail pas trop loin de son domicile ou à trouver tous les services nécessaires à une vie individuelle ou de famille épanouie ou au maintien dans la vie sociale d'une personne âgée en perte de mobilité.
D'où l'intérêt d'écouter les analyses proposées par Pierre Albertini qui a donné le 30 août dernier au Figaro une tribune remarquée sur:
En effet, au-delà de la question de l'habitat et de l'ensemble des questions sociales et politiques liées à l'aménagement du territoire, à l'organisation des politiques publiques, questions auxquelles nous sommes tous habitués depuis des années, il y aurait dorénavant une question démographique en tant que telle car la population normande et française vieillit. Car la population normande et française change ce qui n'est pas sans conséquences sur l'ensemble des politiques publiques ou sur la cohérence du corps social lui-même.
La question est donc la suivante:
La Normandie comme tous les autres régions françaises est confrontée à ce changement démographique, notamment en ce qui concerne le vieillissement.
La politique de l'offre d'inspiration sociale-démocrate consistant à améliorer les aménités du territoire pour en améliorer son attractivité (meilleur habitat, meilleure qualité des services, meilleur marché du travail, formation, rémunération, etc...) sera -t-elle suffisante pour répondre aux défis d'une population qui change tant par son vieillissement que par sa composition sociale et culturelle?
Ou faudra-t-il recourir à d'autres ressources? Des ressources plus politiques que l'on pourrait trouver dans nos héritages normands: je pense, par exemple à la Sicile du XIIe siècle gouverné par le roi Roger qui avait su imposer la même loi normande à tous.
On attend donc d'entendre, avec le plus grand intérêt, les réflexions et analyses de celui qui fut le magistrat de la première agglomération urbaine de Normandie.
Note: Pierre Albertini devrait intervenir sur le même sujet le lendemain à l'université populaire de Rouen
Universités populaires de Rouen (blogs.com)
- mercredi 13 décembre 2023:
Le visage démographique de la France et de la Normandie en 2070
SEMINAIRE "NORMANDIE"
de l'Université populaire de Caen
MARDI 12 DECEMBRE 2023
18- 20h00
auditorium du musée des beaux arts de Caen
entrée libre
Parking conseillé: parking souterrain "Saint Pierre" au pied des remparts du château.
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