La cérémonie a été regardée à la télévision à peu près partout dans le monde et une fois encore, la fascination fut totale ou presque devant ces fastes exotiques, ces rites surannés (du latin... Mon Dieu!) ou des symboles devenus, pour beaucoup étranges, ponctués de célestes musiques parfois très anciennes tombées du jubé ou provenant du choeur: c'était probablement la première fois qu'on entendait la douce et planante polyphonie de William Byrd (XVIe siècle) ou la vieille hymne grégorienne de l'Esprit Saint composée par le moine Raban Maur (VIIIe siècle) sur les grandes chaînes françaises d'information.
Parmi les musiques jouées à l'occasion du sacre et couronnement du roi Charles III d'Angleterre, on vous propose de réécouter, ci-après, ce magnifique Te Deum composé par William Walton à l'occasion du couronnement d'Edouard VII en 1907 ici interprété par la musique de l'abbaye de Westminster:
L'onction du roi revêtu d'une simple tunique de lin qui est le moment le plus sacré et le plus secret de la cérémonie, s'est faite à l'abri des regards derrière trois paravents brodés pour l'occasion...
Voilà donc pour ce 6 mai 2023, jour historique pour l'Angleterre et les autres nations du Royaume-uni et du Commonwealth n'en déplaisent à quelques grincheux antimonarchistes ultraminoritaires qui se proposent d'abattre une institution millénaire sans pouvoir imaginer la remplacer par autre chose qui lui serait supérieur...
Les Français n'ont pas été les derniers à regarder, fort nombreux, cette cérémonie venue d'outre-manche et, il faut bien le dire, que seule une finale de football ou de rugby avec les Bleus sur la pelouse du Stade de France pourrait réunir davantage nos compatriotes devant les écrans: certainement pas les allocutions de notre président de la République plus que jamais évanescent en terme de présence réelle voire d'incarnation du "double corps du roi" pour reprendre la formule célèbre de l'historien Ernst Kantorowicz. A la rigueur, la traditionnelle retransmission en direct du défilé militaire du 14 juillet sur les Champs-Elysées pourrait prétendre, à peine, à quelques comparaisons.
Comparaisons entre France et Angleterre que nous autres Normands avons pris l'habitude de faire chaque année lors des commémorations du Six juin 1944 avec, sur les pelouses fleuries des cimetières normands, des liturgies militaires et religieuses anglaises réglées au millimètre pour des moments d'émotion et de grâce alliant toujours la simplicité à la noblesse...
Le secret des Anglais? C'est qu'ils n'ont rien oublié...
Il faut bien le dire, notre République française, 5ème du nom a bien du mal avec les cérémonies officielles, le rituel, la liturgie, la symbolique, voire une certaine beauté faisant frémir et élever les âmes individuelles: quand nos huiles officielles s'y risquent, c'est vite ennuyeux, emprunté, maladroit ou ridicule... A la rigueur, seuls nos militaires ont su garder ce savoir-faire qui confine à la transcendance sinon à l'au-delà puisqu'ils sont engagés contractuellement à servir notre intérêt national au prix de leur sang jusqu'à la mort.
Transcendance, le gros mot est lâché! Depuis que nous avons coupé la tête à Louis XVI, la France cherche à retrouver cette transcendance symbolique perdue dans tous les succédanés possibles. Certes, les Anglais ont aussi coupé la tête d'un roi, Charles 1er justement, un Stuart qui voulait s'essayer à la monarchie absolue comme en France ou en Espagne mais qui laissa place à la seule véritable expérience autoritaire et dictatoriale de toute l'histoire institutionnelle anglaise, à savoir: la république du Commonwealth du Lord protecteur Olivier Cromwell qui fut, à son tour, décapité en 1660 avec le rétablissement, définitif, de la monarchie.
Aussi, quand Mélenchon touitte, ce jour, sur les "sirops dégoulinants de la monarchie britannique" c'est plutôt au goût âcre du sang coagulé sur le tranchant de la guillotine de Robespierre qu'il faudrait penser!
Dans un éclair de lucidité, l'été de son investiture en 2017, le président Macron avait évoqué la nostalgie des Français pour le corps absent du roi mais, six ans plus tard, se réalise hélas pour le peuple français plus que jamais soumis à une castration généralisée, la prophétie de l'Ecclésiaste: "malheur au pays dont le roi est un enfant!"
Germaine de Stael l'avait noté dès l'époque de la Révolution et de l'Empire dans son essai sur l'Allemagne (qui est le mode d'emploi de la France à l'usage des futures élites nationales allemandes): la suprême intelligence de la civilisation française se tuera elle-même par l'extrême sécheresse de sa rationalité. Trop intelligentes et savantes pour se permettre la faiblesse de croire en Dieu ou d'avoir foi en quelque spiritualité ou métaphysique que ce soit, les élites françaises ont fait le meilleur mais aussi le pire. Le meilleur: avoir été les missionnaires de la Liberté pour les peuples et les individus. Le pire? Emmener les Européens sur les chemins de l'individualisme rationnel jusqu'aux portes du Néant avec un moment révolutionnaire qui fut le prototype de toutes les grandes barbaries idéologiques du XXe siècle.
Le Normand Tocqueville avait vu ça aussi avec lucidité dans son analyse de la Révolution française en rapport avec un ancien régime qui, finalement, offrait concrètement aux peuples de France plus de droits et de libertés que ne le firent les assemblées révolutionnaires ou la convention nationale de la 1ère République sauf dans de grandes logorrhées d'estrade promettant des droits universels pour tous pour des lendemains qui ne feront que déchanter.
Bref! Pour reprendre un mot récent de la philosophe Bérénice Levet: "on ne fait pas un peuple avec les seuls Droits de l'homme". Et les Anglais viennent de nous en administrer la plus éclatante et fastueuse démonstration!
Et pourtant, malgré la guillotine de la Révolution et la logique de guerre civile depuis insinuée dans le corps politique de la France notre pays et notre peuple tout aussi millénaire que les peuples d'outre manche, ne manquent pas de symboles ou d'incarnations d'une certaine idée de transcendance incitant à dépasser tous les clivages, toutes les divisions pour nous rassembler dans un ordre supérieur:
Le Général de Gaulle a été capable de jouer ce rôle car il fallait littéralement sauver notre pays effondré dans l'enfer nazi pendant la Seconde guerre mondiale. On cherchera aujourd'hui, en vain, quelque personnalité politique ou publique qui pourrait incarner une transcendance pour la France alors que montent de tous côtés une inquiétude populaire pour son avenir même...
Mais l'on pourra penser à une autre grande figure de l'histoire de notre pays qui aura certainement pu le mieux incarner une transcendance spirituelle, voire mystique, pour la France et son avenir: cette figure c'est Jeanne d'Arc, bien sûr, dont une petite statue en bronze trônait dans le bureau d'un certain Général de Gaulle chef d'une France Libre réfugiée à Londres. Jeanne d'Arc héroïne d'une résistance à la fois militaire et spirituelle sinon mystique luttant pour la libération d'un peuple et de son pays a fasciné bien au-delà de la France: Churchill, tout Premier ministre britannique qu'il était, avait une grande admiration pour la Pucelle venue de Lorraine, née à Domrémy et morte brûlée vive à Rouen sur ordre d'un clergé collaborant avec l'occupant anglais.
Jeanne d'Arc née en 1412, qui n'a été canonisée qu'en 1920 par l'Eglise catholique qui l'avait faite brûler en 1431 à l'âge de 19 ans, est probablement la plus grande figure historique de la transcendance française car en réunissant en elle ce qu'il y a de plus temporel (porter les armes, monter à cheval comme un homme, s'habiller comme un homme et les commander) et de plus sacré ou mystique (les voix angéliques qui la conseillaient), elle fut le symbole d'une réconciliation des Français entre eux, après le grand sacrifice de la Première guerre mondiale, réconciliation entre ceux de la chapelle et ceux qui n'en étaient pas, pour reprendre le célèbre poème d'Aragon célébrant l'union sacrée de la résistance française clandestine et combattante contre le Mal nazi qui avait pris la Croix de Lorraine pour emblème.
Ajoutons qu'il faut intimement associer à l'épopée johannique l'archange Michel et le mont normand qui lui est consacré: si elle n'avait pas été capturée sous les murs de Compiègne pour être remise aux Anglais, Jeanne d'Arc aurait pu achever sa chevauchée jusque sur les grèves du Mont- Saint- Michel alors assiégé sans succès par les Anglais et qui était de ce fait, devenu le premier symbole d'une unité nationale française luttant pour sa souveraineté et sa liberté.
En 1920, donc, eurent eu lieu de grandioses cérémonies en la cathédrale de Rouen pour la canonisation de Jeanne d'Arc, cérémonie religieuse et civile réunissant toutes les autorités institutionnelles de la capitale historique de la Normandie dans un rare moment de concorde et d'union dépassant tous les clivages et toutes les divisions à commencer par celle d'une interprétation laïcarde de la laïcité:
La canonisation de Jeanne d'Arc et l'institution du 8 mai comme de la Sainte Jeanne d'Arc comme fête du patriotisme se firent dans un climat de guerre civile comme en témoigne la presse de l'époque:
Mais, par le concours inspiré de l'Histoire, cette date du 8 mai déjà consacrée à Jeanne d'Arc devint aussi celle de la célébration de notre Libération de l'enfer nazi: l'archange Michel aux côtés duquel Jeanne croyait mener la bataille contre le Mal, n'y est peut-être pas pour rien...
Cent années plus tard, on pourrait croire que toutes ces passions très françaises s'enflammant autour de la figure de Jeanne d'Arc se sont éteintes désormais au point d'avoir crainte pour la transmission vers les jeunes générations d'une épopée johannique et patriotique qui n'intéresserait plus grand monde en France, sans même pas parler de la dimension spirituelle et chrétienne de Jeanne compte tenu de l'effondrement du catholicisme historique français et d'une désaffiliation généralisée des individus (cf. Marcel Gauchet et son analyse sur le désenchantement publiée dès 1985)...
Mais c'était sans compter avec l'évêque Cauchon de notre temps qui sévit parmi un clergé culturel prescripteur qui pratique comme celui d'autrefois une sorte de terrorisme moral et intellectuel:
Le nouvel évêque Cauchon qui voudrait, une nouvelle fois, mettre le feu à une épopée johannique encore trop empoisonnée de christianisme, cette religion pour sorcières, c'est le Nouveau Maître de Rouen que nous connaissons hélas que trop bien!
A l'avenant:
C'est ainsi qu'on apprend que Jeanne serait la figure inaugurale d'un féminisme de combat voire du combat féministe! Nous sommes en pleine opération de récupération politique et idéologique d'une Jeanne d'Arc dont notre cher Nicolas Mayer-Rossignol nous assure qu'elle n'appartient à personne... Une récupération idéologique qui frise d'ailleurs le négationnisme historique!
En effet, si Jeanne d'Arc fut, effectivement, une femme en armes combattant pour la libération de son pays, c'est qu'elle a répondu à une vocation spirituelle chrétienne qui était alors la raison d'être d'un corps politique qui s'appelait déjà la France.
L'aspect spirituel chrétien est donc totalement "annulé" ou "cancelé" dans l'approche biaisée suivante:
On apprend, enfin, que les cérémonies rouennaises du 8 mai qui sont pourtant depuis 1920 autant johanniques et religieuses que patriotiques et civiles, seront coupées en deux:
Le religieux ce sera à la cathédrale de Rouen la veille du 8 mai car Monsieur le maire de Rouen qui a le christianisme honteux a, probablement, l'islam plus joyeux au nom de la diversité...
Commentaire de Florestan:
Si la cathédrale de Rouen était encore aujourd'hui une cathédrale anglo-normande voire... anglaise, on n'ose imaginer la pompe, le faste et la beauté élevante de ces cérémonies du 8 mai pour tous les esprits et toutes les âmes: La BBC ferait une retransmission en mondiovision, la maîtrise de Saint Evode chanterait au choeur de virevoltantes splendeurs musicales tandis que de puissantes orgues feraient trembler la colonne d'air. A la fin, on entendrait un carillon sans fin depuis la tour Saint Romain tandis, qu'en bas, se presserait une foule compacte abritée sous des parapluies (voilà au moins un point commun qui nous reste encore avec l'Angleterre) attendant la sortie des autorités sous le grand porche de la cathédrale en une grande procession grave et solennelle toute chamarée d'or...