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Sire de Sei, la Normandie en toute liberté!
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20 juillet 2021

Colloque de Cerisy: "la Région de l'identité à la citoyenneté" (12 -14 juin 2015)

(Archive de l'Etoile de Normandie - 1er juillet 2015)

Du 12 au 15 juin 2015 s'était tenu dans le cadre bucolique et serein du château de Cerisy La Salle (Manche) un grand colloque de réflexion à l'initiative du collectif des Quinze géographes universitaires normands sur le thème de l'idée régionale à l'heure de la réforme territoriale et de la définition d'un projet normand pour la Normandie réunifiée.

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Au titre du collectif citoyen et républicain Bienvenue en Normandie et pour la rédaction de l'Etoile de Normandie, nous avons pu participer à l'une des tables rondes et assisté à celles des vendredi 12 ; samedi 13 et dimanche matin 14 juin 2015 selon le programme détaillé à consulter ci- dessous:

http://www.ccic-cerisy.asso.fr/reformeregionale15.html

En attendant la parution officielle des actes de ce colloque tenu dans le cadre du centre international de rencontres culturelles du château de Cerisy, nous vous proposons, en exclusivité pour l'Etoile de Normandie, un compte rendu partiel réalisé à partir de nos notes personnelles.

  • La conférence inaugurale de Guy Di Méo sur les questions identitaires a néanmoins fait l'objet d'une captation intégrale que l'on peut, d'ores et déjà, consulter sous les liens suivants:

http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/forge/3399

http://plus.franceculture.fr/partenaires/maison-de-la-recherche-en-sciences-humaines/cerisy-regions-et-territoires-propos-de-la

  • Le dimanche 14 juin 2015, la table ronde du soir était consacrée à un sujet brûlant d'actualité concernant l'unité normande puisqu'il s'agissait de débattre du rôle de la presse quotidienne régionale dans l'accompagnement du débat public sur la réunification normande: Ouest-France a eu le bon goût de se faire représenter non pas par Jean-Jacques Lerosier mais par Xavier Oriot. Nous n'avons pas pu assister à cette table ronde essentielle pour comprendre ce qui nous arrive en ce moment et ce que le public normand lucide et avisé peut hélas subir avec certains traitements journalistiques peu satisfaisants de la question normande ! Néanmoins, sur le site de Normandie Magazine, on peut se faire une petite idée de ce qui aura pu se dire à cette occasion dans le cadre feutré de la bibliothèque du château de Canisy:

http://normandie-magazine.fr/actualite/2086-colloque-a-cerisy-la-salle.html

 

  • Enfin, le lundi 15 juin 2015, le colloque devait se conclure avec une rencontre organisée avec de grands élus normands directement responsable des événements en cours ou à venir pour la Normandie unie: Yannick Soubien (tête de liste EELV pour les élections régionales); Joël Bruneau, maire et président LR de l'agglomération de Caen; Frédéric Sanchez, président PS de la métropole de Rouen et Hubert Dejean De La Bâtie, maire UDI de Sainte-Adresse ont discuté ensemble sur tous les grands sujets normands, à commencer par celui de la métropole normande en réseau ou d'une capitale régionale "multi-sites". Le collectif des Quinze géographes normands a eu l'occasion d'en discuter aussi directement et avant ce colloque avec Edouard Philippe le député-maire LR du Havre...

Maintenant, on peut dire qu'aucun grand dirigeant public ou privé de Normandie n'ignore le collectif des Quinze géographes universitaires normands et sa réflexion normande...

Compte-rendu du colloque tenu au château de Cerisy La Salle

L'idée de région à l'heure de la réforme territoriale et d'un projet pour la future Normandie.

Journées des 12, 13 et 14 juin 2015

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Avertissement au lecteur :

Ce compte-rendu réalisé à partir de mes notes personnelles n’engage pas la responsabilité des auteurs ni celle du centre international de rencontres culturelles de Cerisy : une publication officielle et exhaustive des actes de ce colloque sera ultérieurement réalisée…

 

Vendredi 12 juin 2015 : la question de l’identité

Conférences de Guy Di Méo, Pierre Bouet, François Guillet et Philippe Cléris. Colloque placé sous la direction d’Yves Guermond.

Introduction par Yves Guermond

Sommes-nous en train de vivre une identité territoriale de crise ? De guerre ? (cf. attentats du 11 janvier 2015). Que reste-t-il de la solidarité « mécanique » du village, « organique » de la ville industrielle à l’heure de la globalisation qui génère une « solidarité commutative » mobile, multi-située ? (Olivier Mongin).

Plus que jamais, les identités territoriales sont floues, notamment à l’échelle régionale. A l’échelle infra-régionale, les « autochtones » se sentent noyés dans d’autres populations parfois d’origine étrangère avec les conséquences politiques que nous savons. (angoisse identitaire : cf. Renaud Camus et sa théorie du « grand remplacement »)

Enjeu : reconstruire des identités territoriales collectives.

 

Guy Di Méo

L’identité et espace : une définition impossible ?

Cette question est par principe, complexe… On pourrait parler de « liquidité identitaire » entre nécessité et contingence. Tout pose question, par exemple, l’identification des individus à un groupe originel. Le plus sûr est de partir de la personne humaine  pensée dans sa globalité. Saisir l’alliage subtil entre subjectivité individuelle, les rapports sociaux, les rapports à l’espace, les réalités concrètes ou plus subjectives des pratiques spatiales, l’imaginaire. Bref ! il s’agit de la notion complexe « d’espace vécu » proposée par Armand Frémont.

L’identité vécue n’est pas totalement objective.

1)      C’est d’abord une affaire individuelle :

Un récit nécessaire, fondateur de soi (Paul Ricoeur). Un album personnel (Maurice Halbwachs) qui n’a rien d’essentialiste car c’est évolutif, dans la continuité (savoir d’où l’on vient et où je vais en choisissant plus ou moins lucidement les étapes du voyage). La légitimité et l’estime de soi vont de pair en tant qu’outils pour gérer dans la continuité les changements pour soi et pour /ou avec les autres permettant des actions et des lieux.

2)      L’identification à un lieu est un processus :

L’identité ne peut être fixée définitivement ou essentialisée. Le processus d’assimilation est permanent par l’intériorisation de sa place individuelle dans un groupe et dans un lieu dans le cadre d’un champ de rapports sociaux (qui peuvent être aussi des rapports de force). Ainsi, l’identité collective se pense comme une identité personnelle douée d’une âme ou d’une psychologie dans laquelle les individus peuvent se projeter et se reconnaître. C’est la figure poétique bien connue de la prosopopée : « la France est une personne » disait Jules Michelet dans son tableau de 1840. Par cette alchimie identitaire, le lieu se charge d’une personnalité véhiculant un esprit, des valeurs, une mentalité. Exemple frappant avec la ville de Lyon entre Nord et Sud avec les valeurs des Canuts (famille, travail, courage, curiosité et ingéniosité). On retrouvera ce processus de personnification dans tous les lieux clairement identifiés.

 

3)      L’identité n’est pas que territoriale …

Mais elle cimente toutes les autres en donnant un sens symbolique aux autres activités sur le territoire : les pratiques spatiales deviennent ainsi conscientes. Mais est-ce encore vrai aujourd’hui à l’heure de l’atomisation généralisée et individualiste à toutes les échelles ? (mondialisation). Le processus d’appropriation continue néanmoins de fonctionner (ex : les nations font de la résistance) et pour l’action politique il faut bien circonscrire, contrôler, identifier (au risque des récupérations idéologiques essentialistes « identitaires »). Les « géo-symboles », marqueurs identitaires dans le paysage sont toujours puissants. La codification de la nature attestant de la personnalité nationale ou régionale de tel ou tel territoire continue de fonctionner (Anne-Marie Thiesse). Des identités territoriales plus récentes peuvent même se créer à l’échelle infra-régionale. Exemples pris en France à l’échelle départementale (ex : la Vendée) ou infra-départementale (ex : le Pays de la Chalosse, au Sud du département des Landes sur la base d’un contrat de pays, d’une vie associative locale très active basée sur la mémoire rurale et sociale des métayers Gascons). Le processus identitaire n’est donc pas lié au cadre territorial officiel et légitime (ici le département, là la région administrative…)

4)      L’identité, avant tout, des interactions :

L’identité culturelle territoriale n’est pas seulement fournie sur catalogue ou par le marketing territorial (heureusement…) Cela dépend surtout de l’action des individus isolés ou en groupe, d’un jeu social avec la mémoire et la légitimité politique (territorialité) qui permet la plus ou moins grande identification, appropriation du territoire où vivent des habitants.

5)      On observe partout un renouveau identitaire :

On saute même par-dessus les échelles intermédiaires en passant du local au global (« glocal ») dans le cadre d’une globalisation d’esprit libérale avec montée en puissance d’un sujet individualiste qui veut choisir et décider. Dans cette guerre des « égos » tout peut être prétexte à protestation identitaire : le chauvinisme n’est plus seulement territorial, il peut concerner aussi des identités sociales, religieuses, culturelles, sexuelles… Le processus d’identification éclate, s’atomise, s’hybride : l’identité devient floue, composite, liquide. Un carnaval permanent, total et toujours changeant… renforcé par le recours massif à l’hyper-espace numérique : l’identité à la carte !

 

Prenons l’exemple de l’identité normande :

On est d’accord pour dire qu’elle existe mais quand il s’agit de préciser on ne l’est plus, tiraillés que nous sommes par d’autres légitimités identitaires infra-régionales ou supra-régionales voire par des identités qui ne sont pas territoriales. Cela pose la question de l’enracinement : Augustin Berque a montré que les Japonais étaient plus « situationnels » que les Occidentaux.

La globalisation numérique a relativisé la « corporalité identitaire », c’est-à-dire, la puissante et élémentaire identification spatiale liée aux possibilités naturelles et physiques du corps humain : Internet nous dispense de parcourir le Monde à… pied !

6)      Quelques exemples d’analogies pour tenter de comprendre le processus d’identification :

Par analogie, l’étude du système immunitaire du corps humain permet de parler d’identité biologique. Le biologiste Claude Bernard parle d’ailleurs de « milieu intérieur » en évoquant les cellules qui doivent se défendre. On parle aussi de « soi immunologique » (F. Burnets 1950) pour évoquer le système d’alerte déclenché en cas de danger, danger qui ne vient pas forcément d’un corps étranger… Chaque individu a une biographie immunitaire personnelle.

Par analogie, l’étude du système de parenté, des structures familiales et de filiation (Lévi-Strauss) permettrait de remonter à la cellule spatiale identitaire de base : « l’atome de parenté », la « maison familiale, synonyme de stabilité, d’enracinement pour les enfants, futurs adultes qui auront à fonder d’autres maisons. Nous sommes les héritiers d’une civilisation de la « maison », domaines spatiaux transmissibles justifiant une « filiation » (cf. le droit normand) permettant une stabilité identitaire individuelle et collective.

Le système de la maison résiste aux actuels bouleversements des structures familiales (familles décomposées, recomposées, homoparentalité…) puisque, depuis des siècles,  la « maison » signifie la supériorité de la parenté sociale sur la parenté biologique

 

Dispute :

Jacques Lévy : l’identité religieuse intégriste, un substitut à l’échec de l’intégration identitaire spatiale malgré le pragmatisme « ethnique » des offices HLM en région parisienne ?

Guy Di Méo : le processus identitaire est de plus en plus à la carte, y compris dans l’identité arabo-musulmane. Les gens sélectionnent ce qu’ils veulent mettre dans leur construction identitaire. Un Islam républicain français pourrait être possible. Les gens, quelle que soient leurs origines, s’identifient aux « schèmes » des lieux où ils vivent. Dans le Sud Ouest, l’attachement à la bastide, à la vigne est universel.

Jacques Lévy : « Guy Di Méo, tu as évolué »…  Le rapport à l’espace n’est plus un rapport « non-choisi », un espace « allégeance » (Norbert Elias) : l’individu n’a plus d’échelle et n’est plus la plus petite échelle du monde car, désormais, l’individu globalisé est plus grand que le monde. Il est « multi-scalaire » dans une société mondiale des individus.

Robert Hérin : La notion de territoire devient problématique, de multiples solidarités, de multiples pratiques, de multiples échelles qui ne coïncident pas.

Guy Di Méo : il y a des rugosités et des nodosités sociales sur les territoires car tous les individus n’évoluent pas à la même vitesse, chacun voit midi à sa porte ! Les légitimités territoriales officielles peuvent être remises en cause.

Jacques Lévy : le territoire est une aporie

Guy Di Méo : ce mot est devenu un fétiche dans le domaine de l’action publique mais il faut bien un périmètre territorial pour mettre en œuvre concrètement une action publique. On ne peut congédier le mot de territoire.

Robert Hérin : le territoire, c’est de la politique et nous avons tous rendez-vous dans moins de six mois ! Avec une crainte, c’est que sous couvert d’abuser du mot de territoire on n’évacue du débat public des questions plus graves…

 

Pierre Bouet

La construction de l’espace normand (IV- XIe siècles)

 

L’étude archéologique des nécropoles montre que la morphologie des populations occupant le futur espace normand est stable jusqu’au VIe siècle. Les tribus gauloises étaient séparées par le val de Seine : les Belges au Nord et les Gaulois d’une confédération armoricaine au Sud, les Calètes étant installés de part et d’autre de l’estuaire de la Seine.

Avec la réforme administrative de l’empereur Dioclétien créant la Seconda Gallia Lugdunensis (Seconde Gaule lyonnaise) au début du Ve siècle, le cadre territorial de la future Normandie est déjà posé, avec les « civitas » (villes et territoires) qui deviendront les futurs diocèses chrétiens « suffragants » rassemblés sous l’autorité spirituel de l’archevêque de Rouen, métropolite futur primat de « Normandie » (Coutances ; Avranches ; Bayeux ; Séez ; Lisieux ; Evreux et Rouen. Valognes, Vieux et Lillebonne ne verront jamais de cathédrale…). A la faveur du développement du culte de Saint Martin et de la pénétration du nouveau culte chrétien dans les « pagi », le nouveau territoire et son nouveau réseau urbain diocésain s’affirme, l’Eglise se glissant dans la vieille structure de l’administration impériale romaine.

A la fin du Ve siècle, les Francs arrivent et colonisent le Nord de la Seine. Au Sud, c’est une simple prise de contrôle des populations gallo-romaines sans colonisation, avec, néanmoins, un encadrement militaire fort d’origine saxonne pour protéger le littoral (Saxons dans le Bessin, estuaire de l’Orne et Anglo-saxons dans le Cotentin). Les diocèses d’Avranches, Sées et Coutances sont alors placés sous l’influence bretonne dans le cadre d’un « tractatus armoricanus » dont on ne connait pas le contenu ni la forme…

Dans le royaume puis l’empire franc, la future Normandie est la partie littorale Nord-Ouest de la Neustrie, c’est-à-dire ce territoire mouvant situé au Sud- Ouest de l’Austrasie, au Nord de l’Aquitaine, à l’Est de la Bretagne, à l’Ouest de la Bourgogne … Le territoire placé entre Seine et Loire qui sera, à terme, le berceau des Robertiens puis des Capétiens.

Le système mis en place par l’empire Franc (VII et VIIIe siècles) va être, comme chacun sait, être profondément déstabilisé dès la première moitié du IXe siècle par les incursions des Normands dans la Manche depuis leurs bases déjà établies dans les îles britanniques.

Pour faire face à l’insécurité sur le littoral, les cités sont regroupées sous l’autorité d’un comte et d’un évêque (missatica). La future Normandie est ainsi réorganisée avec un missaticum basé à Rouen et la Seine redevient une frontière militaire : les diocèses de l’Ouest passent sous le contrôle des « rois » Bretons. (867 : Salomon de Bretagne contrôle Coutances, Avranches, Bayeux et le Bessin jusqu’à Caen) tandis que le diocèse de Séez devient le suffragant de celui du Mans (Maine –Hiesmois).

A la fin du IXe siècle, les Norvégiens venus d’Irlande s’installent dans le Nord Cotentin, les Danois investissent le val de Seine : c’est le territoire du « missaticum » de Rouen qui sera concédé au chef danois Rollon lors du fameux traité de St Clair sur Epte en 911, mais plus sûrement, lors de l’accord donné à l’abbaye de Jumièges quelques années plus tard. La frontière occidentale de la concession faite à Rollon à charge pour lui de garder le val de Seine contre d’autres « Normands », était certainement située sur les marais de la Dives. Le retour de la sécurité dans le Val de Seine permet la mise en œuvre du véritable projet décidé très certainement à Rouen par l’archevêque héritier du missaticum carolingien : le nouveau comte de Rouen, le chef danois et ses hommes vont devoir partir à la reconquête du territoire de l’ancienne Seconde Lyonnaise et permettre à l’archevêque de Rouen de retrouver son autorité.

924 : reconquête du Bessin et de Sées

933 : reconquête du Cotentin et d’Avranches, devenus une sorte de « Bretagne orientale » avec une « île » d’Iro-norvégiens irréductibles dans le Nord-Cotentin…

L’échec de l’annexion de la totalité du Vexin (Mantes la Jolie dépendait du diocèse de Rouen) démontre que le projet de Rollon puis de Guillaume Longue Epée était de contrôler l’espace de l’antique Seconde Lyonnaise.

La contrepartie fut l’assimilation et la conversion des Normands à la civilisation latine, franque et chrétienne : dès 930, la langue norroise n’était plus parlée à Rouen et les Iro-norvégiens du Bessin et du Cotentin vont refuser le projet « normand » des Danois dans l’assimilation à la civilisation latine, franque et chrétienne (Révolte norroise de Rioul de 925 à 930 avec la Risle comme frontière orientale).

Rollon a bien écouté l’archevêque de Rouen : « épouse l’Eglise si tu veux régner perpétuellement». Rollon avait observé l’échec des « Daneland » sur la Loire mais aussi dans les îles Britanniques : pour que la Normandie réussisse définitivement il fallait la conversion et l’assimilation de la « gens Normanorum », la race guerrière et cruelle (« belligera et effera ») d’une élite militaire qui a le pouvoir mais qui était numériquement minoritaire.

A l’occasion de la conquête normande de la Sicile, l’historien normand Orderic Vital rappelle qu’outre le fait d’avoir un ancêtre issu de cette fameuse « gens Normanorum » le plus important était d’intégrer des Calabrais, des Byzantins ou des Arabes à condition de connaître un peu le norrois et surtout de pratiquer la coutume des Normands.

A la suite des deux Richard (942 – 996) et de son père Robert, Guillaume Le Bâtard, assisté du fidèle Lanfranc, va poursuivre et parachever ce grandiose projet en réalisant concrètement l’unité politique, administrative et économique de la Normandie avec l’aide du formidable soutien de l’Eglise et de l’ordre monastique bénédictin. Le duc Richard II avait déjà fait un certain nombre de fondations monastiques, dont celle du Mont Saint Michel (966) pour garder la frontière bretonne. De 1036 à 1066, Guillaume Le Bâtard (devenu le Conquérant) en fondera 27 permettant un quadrillage complet et un développement économique, social et culturel de l’ensemble du territoire normand.

Le monastère bénédictin était un outil d’aménagement du territoire très puissant : exploitation agricole performante, petite industrie, artisanat, mais aussi hôpital, dispensaire avec distribution gratuite de nourriture et surtout écoles (élémentaires et supérieures) ou maison de retraite. L’abbaye de Fécamp mettait ainsi 30 000 hectares de terres directement en valeur.

Instruit par sa difficile minorité (Guillaume échappa à plusieurs tentatives d’assassinat notamment menées par le parti « norrois » toujours opposé à la politique d’assimilation et de puissance menée par les ducs) et par l’expérience d’une conquête de l’Angleterre planifiée dans les moindres détails (permettant aussi d’éloigner de Normandie les plus insoumis et les fortes têtes irréductibles), Guillaume assisté de sa femme Mathilde et d’un haut conseil de technocrates savants (Lanfranc mais pas seulement), fonde la puissance du quasi Etat normand (officiellement faisant toujours partie du royaume de France) et prend soin d’en assurer l’unité de part et d’autre de la Seine : c’est la raison profonde des trois fondations caennaises : un grand château de 9 hectares avec un palais  et les deux abbayes mausolées de part et d’autre une ville nouvelle située dans le marais de l’Orne à quelques kilomètres de la mer. Il s’agissait de dédoubler la présence et la puissance du duc sur les deux rives de la Seine.

Conclusion sur une permanence géo-historique séculaire : quand la Normandie réalise son unité de part et d’autre du val de Seine, c’est la paix et la prospérité. Quand il y a menace, guerre ou déclin, le val de Seine redevient une frontière…

Dispute :

La communication de Pierre Bouet est unanimement saluée. Gérard Granier fait cependant allusion à l’étude en cours menée par une équipe de chercheurs de l’université de Leicester sur la stabilité et l’homogénéité du patrimoine génétique des habitants du Nord Cotentin ayant un patronyme d’origine scandinave.

Pierre Bouet : cette initiative est idéologiquement dangereuse et scientifiquement bien incertaine… La toponymie et l’andronymie d’origine scandinave marque la Normandie jusqu’à aujourd’hui mais il n’y a quasiment aucun vestige archéologique scandinave : le mélange et l’assimilation à la population d’accueil a donc été total.

Gérard Granier : il y a certes, un « gradient de l’éloignement génétique » traversant toute l’Europe de l’Irlande à Chypre où l’on peut constater de fortes homogénéités dans les origines du peuplement mais de là à parler d’autochtonie…

 

François Guillet

L’idée d’identité dans l’historiographie normande du XIXe siècle

L’identité reste une notion assez insaisissable (Jacques Revel). Commençons par ne pas confondre région et province, le terme de « province » gardant une connotation réactionnaire après la Révolution française. Le terme de « région » surgit et s’impose après la défaite française contre la Prusse de 1870.

La diversité normande est soulignée depuis longtemps. L’historien Fernand Braudel parle même des « Normandies ».

Au départ de l’identité contemporaine régionale normande, il y a la reconstruction de l’unité normande au moment du séisme révolutionnaire de 1789 pour sa survivance et son maintien dans le cadre du nouveau régime politique et administratif : tel est l’enjeu du redécoupage des anciennes provinces et leur « département » en 1790. Le projet trop artificiel et cartésien du député rouennais Thouret est écarté au profit d’un projet plus pragmatique, historiciste et naturaliste de découpage en quelques 90 départements. Les cinq nouveaux départements normands supprimant les divisions entre Haute et Basse Normandie héritées de l’administration fiscale honnie de l’Ancien Régime célèbrent l’unité normande délivrée et reposant toute nue sur les bases claires et objectives de la géographie naturelle et de l’Histoire.

L’attachement à la province ainsi refondée n’est pas incompatible avec le patriotisme national en pleine effervescence : l’amour pour la petite patrie prépare à l’amour pour la grande.

La Normandie ne correspondant plus à une institution administrative ou de gouvernement, devient une région naturelle, un objet d’études et de contemplation, une référence identitaire.

C’était déjà le cas au XVIIIe siècle dans les cercles érudits provinciaux : les physiocrates tentant d’optimiser le développement économique local et provincial développèrent des théories de type « néo-hypocratiques » pour comprendre les rapports complexes entre climat, géologie, faune, flore et … qualités physiques et morales des habitants des pays normands. Le médecin rouennais Le Pecq de la Clôture poussera la recherche d’un éthnotype normand jusqu’à la caricature !

La description de la mosaïque des pays normands que l’on a pu faire à partir de cette approche ira jusqu’à remettre en cause l’idée qu’il puisse y avoir une unité régionale normande (par ex : chez le géographe Elisée Reclus distinguant un Ouest bas-normand armoricain  et un Est haut-normand nécessairement lié à Paris).

En 1910, le géographe Vidal de la Blache confirme la division normande entre Haute et Basse en insistant sur les différences économiques (Rouen, l’entrepôt de Paris)

Une des particularités marquantes de l’identité normande c’est qu’elle fut pensée très tôt par les élites érudites normandes qu’elles soient résidentes en Normandie ou à Paris (ex : rôle des sociétés savantes). On ne trouve pas cette précocité et cette autonomie pour le cas breton : l’identité bretonne a d’abord été pensée depuis Paris avant d’atteindre bien plus tard la Bretagne. Cela signifie que la Normandie était une région économiquement et socialement en avance dans son développement et profitait pleinement de son lien étroit et privilégié avec Paris. Cette précocité normande va même permettre aux érudits normands d’être les inventeurs du régionalisme contemporain en France avec la figure marquante d’Arcisse de Caumont l’organisateur de nombreux congrès « régionalistes » pour rassembler la France provinciale contre les excès du centralisme parisien.

Il y a bien entendu une part de réaction romantique contre le nouveau régime idéologique et politique institué par la Révolution et l’Empire, sachant que la Normandie est parcourue par les touristes Anglais amateurs de Gothic revival, de monuments historiques évoquant les origines de leur nation ou de leurs familles, mais aussi de pittoresque et de paysages sublimes avant que ne soient expérimentées en Normandie quelques nouveautés anglaises tels que les bains de mer et la promenade sur la plage. Avec la confirmation de la paix définitive avec l’Angleterre, la Normandie va accentuer son rôle de passerelle de part et d’autre de la Manche.

L’étude, la contemplation et la valorisation de l’unité normande servent des enjeux idéologiques qui la dépasse : la Normandie de Guillaume le Conquérant est célébrée par Napoléon 1er qui prépare une invasion de l’Angleterre. Après 1815 et le retour de la Monarchie, c’est la Normandie ducale, chrétienne et médiévale des cathédrales et des abbayes qui est mise à l’honneur. En 1830, la plus anglophile des provinces françaises permet l’enracinement de l’Entente cordiale avant le moment régionaliste et historiciste crée par Arcisse de Caumont qui se poursuivra sous le Second Empire. Le choc moral de la défaite de 1870 contre la Prusse et la nécessité de se préparer à une guerre de revanche contre l’Allemagne va faire tardivement faire entrer les Vikings dans l’historiographie normande (Aristide Frémine, 1886). Ce retour des Vikings et de leurs valeurs guerrières triomphera en 1911 à Rouen lors des grandioses fêtes du Millénaire de la Normandie, présidées par le président de la République, trois ans avant le début de la Première guerre mondiale.

 

Dispute :

Armand Frémont salue l’érudition de François Guillet et préfère parler plus d’un moment de transition  que d’invention pour l’identité normande au XIXe siècle. La question est posée de la permanence jusqu’à aujourd’hui des éléments identitaires normands crées ou mis en œuvre au XIXe siècle…

 

Philippe Cléris

L’identité normande, un existentialisme non « identitaire »

 

Ouvrons sur un paradoxe : à l’extérieur, le prestige et la notoriété internationale du nom de « Normandie ». Quelques exemples : « le format Normandie » pour négocier la paix en Ukraine. Le souvenir du paquebot « Normandie » (on fête en 2015 le 80ème anniversaire de son lancement), synonyme de luxe et d’art de vivre à la française. A l’intérieur : le constat d’une « jachère » symbolique en terme d’image ou de reflet régional depuis plus de 40 années.

Notre pays, inutile d’y revenir, connaît une crise identitaire : la Normandie sera la seule vraie « région-province » sur la nouvelle carte régionale, c’est une chance que nous devons à la qualité exceptionnelle du bien public normand que l’on peut partager et valoriser à partir d’une identité régionale non identitaire ouvrant sur l’universel : la Normandie, petite patrie idéale pour refonder la grande…

Proposons quatre esquisses pour tenter de définir une identité normande pour aujourd’hui :

1)      L’identité normande, une identité « non identitaire » : qu’est-ce à dire ?

A l’opposé d’une conception à la Herder (du nom de pasteur et philosophe allemand du début du XIXe siècle qui a défini contre des Lumières françaises trop universelles et rationnelles le principe d’un particularisme irréductible propre à chaque peuple en raison du lien quasi biologique entre un territoire, un pays, une nation, une langue, une origine etc…) devenue classique de l’identité territoriale, la matière normande nous permet de définir une identité « existentialiste » plus individuelle que collective non pas pour être plus Normand que les autres mais pour être plus soi-même en Normandie grâce à une expérience de contemplation esthétique, intellectuelle mais aussi sensorielle du patrimoine historique, culturel et naturel normand. Reprenons la formule de Michel Onfray à propos de Barbey d’Aurévilly : « être normand, un dandysme ». Dans le Nord-Cotentin, on dit encore « Sire de sei ! », c’est-à-dire, être le Seigneur de soi-même, affirmation d’un existentialisme individualiste et libertaire. La célèbre chanson du rouennais Frédéric Bérat (1836) « J’irai revoir ma Normandie », parfois appelée la « Marseillaise des sentiments », est un hymne existentialiste célébrant la nostalgie du pays natal, célèbre dans le Monde entier.

2)      « Les Vikings sont fatigués » (François Gay) :

Sur le modèle de Walter Scott et d’Ossian qui a si bien fonctionné pour l’Ecosse et pour tant d’autres régions tout au long du XIXe siècle, Aristide Frémine est le responsable du second débarquement des Vikings dans l’historiographie normande, histoire de nous préparer à en découdre une nouvelle fois avec nos voisins Allemands. En 1911, à l’occasion des fêtes du Millénaire normand, les drakkars ont triomphé mais cela ne fut pas durable : la tentative de substituer un  régionalisme identitaire néo-médiéval (le mythe Viking) face à la solidité de la Normandie des « antiquaires » (c’est-à-dire des érudits historiens archéologues et médiévistes) a fait long feu. Le poids de l’histoire normande condamne toute mythomanie identitaire (les Vikings ne sont pas des Celtes, tant mieux !) mais la tentation est toujours là (ex : le tout récent film sur la jeunesse de Guillaume Le Conquérant). L’identité normande serait-elle devenue aujourd’hui trop intellectuelle ? Trop érudite et élitiste ? Ou alors n’est -elle plus que ce résidu folklorique de mauvais goût qui traîne encore sur quelques cartes postales ou cette Normandie édénique couchée en herbe aperçue en voiture depuis un bouchon sur l’A 13 ?

3)      « Normannité, Normandité, Normanditude » :

Dans les années 1980 une tentative de conceptualiser l’identité normande a eu lieu avec Jean Mabire, Patrick Grainville, Léopold Sédar Senghor… Il faut se méfier de ses « gros » mots mais ils peuvent nous aider à penser : ainsi, nous préférons la Normanditude à la Normandité (la première étant plus concrète dans ses effets que la seconde) et la Normandité (un idéal d’âme normande) à la Normannité (valeurs Vikings) pour mener un combat d’idées de reconstruction d’une fierté normande « ni haute » (chauvinisme), « ni basse » (haine de soi). La tentative de penser un « ethno-type » normand de Le Pecq de la Clôture jusqu’à Jean Mabire, nous paraît absurde : le cas Senghor le démontre magnifiquement : c’est bien la Normandie qui fait le Normand. La « Normanditude » (convoquons aussi le régionaliste martiniquais Césaire ami du normand Senghor) est le moteur de cette reconquête d’une fierté normande qui doit d’abord être une reconquête de soi-même (voir aussi Annie Ernaux), reconquête lucide et maîtrisée (on retrouvera là la « Normandité » de Senghor) y compris dans l’autodérision de la marque identitaire « Heula » (« Normandie fort et vert ! »)

4)      Le patriotisme juridique normand, véritable origine d’une identité normande ?

Voici une hypothèse à soumettre à la recherche scientifique : les Normands étaient particulièrement fiers de leur coutume juridique si ancienne et si particulière au point que l’on pourrait parler d’un « patriotisme constitutionnel » avant l’heure (Habermas). L’exemple de la charte aux Normands octroyée en 1315 par le roi de France Louis X Le Hutin est parlant : cela deviendra même un symbole de l’identité régionale au point que le chancelier d’Aguesseau dira des Normands qu’ils leur étaient plus facile de changer de religion que de loi… On pourrait raisonnablement penser qu’une mentalité particulière a été forgée par la pratique séculaire d’un droit original et d’une jurisprudence si particulière qui avaient pour principe fondamental le respect devenu très contemporain des intérêts de la personne individuelle ou de résistance à l’arbitraire (ex : clameur de haro, clause de rétractation , clamor patriae). En conséquence, une certaine mentalité normande conserverait, par atavisme jusqu’à aujourd’hui, les valeurs  de l’ancien droit normand, d’ailleurs toujours enseigné à l’université de Caen (cf. le « portrait identitaire de la Normandie » proposé pour le CRT Normandie en 2010)

                Conclusion : on aurait tendance aujourd’hui dans la « liquidité identitaire » (Di Méo) qui prévaut de par la globalisation individualiste et numérique dans laquelle nous sommes tous plongés, de balancer l’armoire normande par-dessus bord sans prêter attention à ce que l’on pourrait encore y trouver. Puisque tout est devenu flou, complexe en terme  d’identité, l’individu demeure et de plus en plus, la seule certitude, de par ses choix : une identité territoriale existentialiste a donc, plus que jamais, du sens. Enfin, ces valeurs normandes, faites de pragmatisme et de respect pour les individus peuvent être mobilisées pour renouveler nos pratiques démocratiques (ex : la formule ptêt ben qu’oui ptêt ben qu’non pour créer le temps d’une discussion rationnelle et approfondie avant toute décision définitive)

Dispute :

Armand Frémont : j’apprécie la chute sur l’armoire normande ainsi que  l’hypothèse de lier l’identité normande à la pratique du droit normand : la coutume de Normandie « imprègne » encore la campagne. Quant à l’identité normande elle-même qualifiée de « non identitaire », préférons plutôt parler d’identité « douce », voire d’identité « molle ».

Philippe Cléris : c’est précisément l’effet d’une identité existentialiste reposant moins sur une communauté que sur des individus. C’est une autre façon d’envisager l’identité régionale à l’opposé, par exemple, du modèle communautaire breton : l’identité normande est donc différente de là à dire qu’elle n’existe pas…

 

Samedi 13 juin 2015 : Région et aménagement

Conférences de Guy Baudelle, de Pierre-Yves Le Rhun et Pierre-Henri Emangard. Colloque placé sous la direction de Madeleine Brocard.

Guy Baudelle

L’aménagement d’un espace régional entre la France et l’Europe : l’exemple de la région Nord-Pas-De-Calais

L’exemple de la région Nord Pas de Calais montre qu’il est possible de transformer radicalement les réalités et l’image d’une région par le volontarisme politique en utilisant au mieux tous les outils de la gouvernance régionale issus de la décentralisation mais aussi proposés par les institutions européennes. D’une région frontière, cul de sac au Nord de Paris, subissant de plein fouet la mort définitive d’un bassin industriel charbonnier remontant au XVIIIe siècle, à une région carrefour européen avec la montée en puissance d’une métropole de Lille fabriquée par la construction d’une puissante intercommunalité (Lille Roubaix Tourcoing) : le rêve de Pierre Mauroy a été réalisé.

 La région Nord Pas de Calais a souvent été candidate pour toutes sortes d’expérimentation administratives, financières et de projets pour anticiper l’évolution des politiques publiques. Par exemple : mise en oeuvre des pôles de compétitivité,  gestion directe des fonds européens, portage foncier et financier pour la réhabilitation des friches urbaines et industrielles, politiques de mutualisation de finances et de projets entre collectivités (alliance entre le conseil régional- métropole de Lille- conseil général du Nord permise par le monopole du parti socialiste), politiques publiques culturelles pour dynamiser le développement local ou changer l’image de la région (Lille capitale européenne de la culture, antenne du Louvre à Lens).

La métropolisation s’est donc affirmée à Lille et dans sa conurbation : la frontière avec la Belgique a disparu. En revanche dans le bassin minier, malgré les efforts colossaux de remise à niveau des infrastructures, de réhabilitation des anciennes cités minières, le chômage reste endémique ainsi que certaines réalités socio-culturelles. La région a beaucoup fait ces trente dernières années pour « réparer », « soigner » mais politiquement, les élus socialistes n’en recueillent plus les fruits avec un Front National qui a repris le discours ouvriériste et national autrefois tenu par le parti communiste.

Sans compter qu’il y avait un « système » socialiste qui est aujourd’hui discrédité par des « affaires »…

Dispute :

François Gay : la Normandie nationalisée par l’Etat est coincée entre le Nord dynamique avec son lobby et la Bretagne dynamique avec son lobby…

Guy Baudelle : il y a un patriotisme patronal local dans le Nord-Flandres qui a toujours préféré la Belgique à Paris (cf. le patriotisme économique souabe). Le problème des patrons normands c’est qu’ils ont cru obtenir du pouvoir en allant à Paris : ça n’a pas été très efficace ! Du côté belge et flamand (Courtrai), ils préfèrent embaucher des Français plutôt que des Wallons et on cause anglais pour travailler. La frontière belge dans la conurbation lilloise n’existe plus. La région a été un acteur très fort et le reste mais demeure politiquement mal identifiée. Du côté de Lille ça fonctionne mais le bassin minier vote FN malgré la reconnaissance symbolique de deux siècles de souffrance dans les mines de charbon. Le modèle identitaire vendéen n’est donc pas totalement transposable.

Nicolas Plantrou : Lille Métropole ne semble pas ou peu acceptée. La région est perçue comme étant d’abord au service de la métropole.

Arnaud Brennetot : L’alliance entre un conseil régional et une métropole pour travailler ensemble, c’est possible, la région NPDC le démontre. En revanche, quid de la pérennité de cette alliance dans la future région Nord-Picardie ?

Guy Baudelle : ce sera difficile de polariser cette future pour qu’elle ne soit pas qu’une simple région de transit entre Lille et Paris. La fusion peut être légitime si l’on considère l’arc picard mais l’Oise est francilienne. Enfin le record du taux de chômage c’est à Hirson près de Saint Quentin qu’on le trouve. Il y a aussi des poches de retard scolaire à résorber.

Gérard Granier : au moins au conseil régional du NPDC on prend au sérieux le Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Territorial (SRADT) puisqu’il a fait l’objet d’une évaluation par un cabinet d’audit. On aurait aimé qu’il puisse y avoir le même sérieux au CRHN avec la Directive Territoriale d’Aménagement de la Seine. La loi NOTRe doit, en principe, faire en sorte que ces grands documents de prospective régionale soient enfin prescriptifs.

Yves Guermond : NPDC, réussite en matière d’aménagement du territoire mais échec politique (vote FN).

Armand Frémont : désarroi, scandales politiques, corruption. Le contrôle de la cour des comptes n’a pas été suffisant alors que nous allons vers la gestion directe des fonds européens.

Gérard Granier : en Normandie, le choix a été fait d’une gestion directe des fonds européens. Le SGAR aura moins de pouvoir.

 

Pierre-Henri Emangard

Régionalisation et aménagement du territoire : le cas de la Bretagne et des Pays de la Loire

Un collectif de géographes bretons vient de se constituer pour, à l’instar de ce qui se fait en Normandie, poser la question de la réunification de façon plus scientifique : « réunifier la Bretagne ? une bonne idée pour la Bretagne ? Car la réunification bretonne contrairement à la normande touche à l’existence même d’une région voisine. La réunification bretonne est pourtant légitime, tout autant que la normande car il s’agit de faire coïncider la région programme administrative avec la province historique et culturelle. Mais les réalités territoriales d’aujourd’hui dans l’Ouest ne coïncident pas avec la géo-histoire : le flux des déplacements pendulaires Rennes- Nantes est ainsi plus faible que le flux Nantes- La Roche sur Yon. En 2009, les flux téléphoniques montraient que Nantes était, à la fois, capitale régionale de la Bretagne du Sud (Morbihan) et capitale régionale ligérienne. La réunification bretonne pose donc automatiquement la question du Maine (Mayenne et Sarthe) de l’Anjou (Maine et Loire) et du Poitou (Vendée désormais plus vendéenne que poitevine sauf au Sud dans la plaine de Bressuire).

Trois options alors : soit la Mayenne, le Maine et Loire et la Vendée accompagnent la réunification bretonne (Loire Atlantique + Bretagne à 4) pour devenir les marches orientales d’une « grande » Bretagne au risque de la marginalisation. Soit ces départements retournent dans leurs aires géo-historiques d’origine : le Val de Loire (un nom déjà identifié UNESCO) pour le Maine et l’Anjou, soit le Poitou-Charentes pour la Vendée ancien Bas-Poitou. Mais, là encore, la Vendée (étudiée par Alain Chauvet) s’est constituée une identité départementale originale très forte qui n’a plus rien à voir avec le Poitou (ex du Chôletais : refus de l’exode rural, souvenir du génocide chouan et rôle social de l’église catholique important). Dernière option qui a failli être mise en œuvre en juin 2014 : la fusion intégrale Bretagne- Pays de la Loire pour faire une grande région « Loire-Bretagne » avec Nantes comme métropole de l’Ouest justifiant le futur aéroport de Notre Dame des Landes ou la LGV Paris- Rennes en 1h30. On sait que les barons concernés n’ont pas pu s’entendre…

Pierre-Yves Le Rhun

L’exemple de « produire en Bretagne » et la question de la réunification bretonne

Heureux de venir parler dans une Normandie qui va bientôt être réunifiée. Développement de la géographie numérique bretonne à l’université de Nantes. Engagé depuis 1976 en tant que militant culturel : faire entrer la culture bretonne dans les écoles publiques en créant des outils pédagogiques adaptés avec un éditeur spécialisé, « Skoll Vreizh ». La géographie de la Bretagne, à laquelle collaborent 13 géographes des universités bretonnes, est ainsi réactualisée depuis 1994 et à nouveau 2014 : c’est un travail scientifique mis à la disposition des Bretons et des militants de la cause bretonne.

En terme de développement régional, la Bretagne a mis en avant son identité pour fédérer tous les acteurs, ainsi l’exemple de l’association créée en 1994 « produit en Bretagne » regroupant au départ les industries agro-alimentaires et maintenant les services. Les grands distributeurs Bretons (Leclerc, Intermarché) ont facilité le référencement dans leurs enseignes et proposent une participation « pour faire groupe et pour faire masse » à la fête de Saint Yves, fête de la Bretagne (« Gouel Erwan »)

Malgré ce communautarisme puissant, la Bretagne et les Bretons restent en échec sur la question de la réunification malgré la bonne volonté du Conseil Général de la Loire Atlantique qui pavoise au « gwen ha du »  (Patrick Maréchal) et une douzaine de sondages depuis 2000 avec en moyenne 70% d’opinions favorables à la réunification bretonne.

En fait, la réalité de l’opinion bretonne, nantaise ou ligérienne concernée par la réunification bretonne est plus complexe. Il y a trois tiers : un tiers est favorable au statu quo d’une Bretagne amputée à quatre départements ; un tiers milite fortement pour la Bretagne réunifiée à cinq départements et un tiers souhaite une Bretagne agrandie de marges ligériennes (soit fusion Bretagne/ Pays de la Loire soit association de certains départements ligériens plus la Vendée à la Bretagne)

Après l’échec de l’été 2014 à l’occasion de la réforme territoriale, il faut donc trouver une solution réaliste et de compromis :

Puisque le mariage Bretagne / Pays de la Loire a été rejeté, que les militants bretons ont sous-estimé la légitimité et les solidarités propres à la néo-région ligérienne et que le vœu proposé en 2001 par le Conseil Général de la Loire de faire la Bretagne historique avec tous les départements qui le souhaiteraient dans l’Ouest, reste d’actualité, nous proposons la solution suivante :

La Bretagne historique à cinq départements augmentée d’une marge ligérienne. (Mayenne, Maine et Loire) et vendéenne.

Dispute :

Jacques Lévy : chacun retient l’histoire qui l’arrange. On aimerait avoir l’avis des Ligériens. L’égoïsme territorial breton est agaçant car cela stérilise le projet interrégional dans l’Ouest de la France. Le patriotisme communautaire breton n’est d’ailleurs pas suffisant, le modèle de développement régional breton est plutôt en crise en ce moment. « Produire en Bretagne » ne concerne pas la qualité de l’eau du robinet…

Guy Baudelle : l’argument culturel devrait suffire mais ce n’est pas le cas. Rien qu’au niveau linguistique il y a deux Bretagne, la bretonnante et la gallèse. Si l’on s’en tient à une géographie fonctionnelle et constructiviste, la nébuleuse nantaise est à cheval. C’est la question qui n’a pas été posée par la réforme territoriale : région ou espaces de projets (coopération interrégionale) ?

Pascal Buléon : La Normandie a au moins cette chance de ne pas être une région « hors-sol », la construction régionale pourra se faire tant par le projet que par l’héritage…

 

François Philizot, préfet, délégué interministériel auprès du Premier ministre en charge du développement de la Vallée de la Seine.

L’Axe Seine en Normandie et dans le bassin parisien

 

Le projet porté par le Contrat de Plan interrégional Etat Région (CPIER) Vallée de la Seine est un projet d’infrastructure, un projet d’aménagement du territoire qui reprend la vieille idée de la DATAR d’un aménagement global de la Basse Seine avec extension vers la mer de la région parisienne (Paris- Normandie avec des villes nouvelles : plan Delouvrier des années 1960 repris récemment par Antoine Grumbach en 2009).

Cette vision s’oppose à celle proposée par Christian Blanc d’un Grand Paris plus auto centré et développé à partir d’un grand réseau de gares.

A l’occasion de l’atelier international du Grand Paris, le projet d’associer plus intimement le Grand Paris à son débouché maritime via la vallée de la Seine a donc refait surface grâce à Antoine Grumbach et Antoine Rufenacht le député-maire du Havre d’alors. Au cœur du dispositif, une ligne ferroviaire à grande vitesse pour relier Paris au Havre. Avec Antoine Rufenacht, nommé « commissaire général» la référence à la « grande » DATAR est explicite. Entre les premières annonces du printemps de 2009 et le débat public de l’hiver 2011, le projet de LNPN devient un projet d’irrigation ferroviaire de la Normandie depuis Paris.

Le 22 avril 2013 est créée la délégation interministérielle au développement de la vallée de la Seine.

Le 25 juin 2015 sera signé officiellement à Rouen le CPIER Vallée de la Seine qui concernera quatre départements normands (sauf l’Orne) et les départements franciliens de l’Ouest. Le préfet coordinateur du CPIER est l’actuel préfet de région Haute-Normandie (Pierre Henry Maccioni). Le délégué interministériel dépend directement du Premier ministre et les trois préfets de région concernés sont dans le comité directeur. « Paris Seine Normandie », une assemblée plénière de tous les grands acteurs de la vallée de la Seine (villes, départements, CESER, CCI …)  s’est réunie en septembre 2015. Enfin les trois régions concernées se sont distribuées les sujets à développer dans le cadre du CPIER : ainsi la Basse-Normandie va s’occuper du tourisme, de l’enseignement supérieur…

Un schéma stratégique pour le développement de la vallée de la Seine a été proposé à la validation par les élus régionaux concernés cet hiver 2015.

Les deux présidents normands sont très présents dans le dispositif mais beaucoup moins celui de la région Ile de France : 35% des flux logistiques français passent pourtant par la Vallée de la Seine. L’Axe Seine est avant tout un canal naturel encore préservé, notamment entre le barrage et écluse à marée de Poses et l’Ile de France (par ex : le magnifique méandre de la Roche Guyon).

Il faudrait cependant avancer dans une connaissance et une surveillance scientifique complète de la vallée de la Seine (ce sera possible d’ici 5 à 6 ans)

L’ensemble Normandie / Ile de France est le premier ensemble territorial français pour l’aéronautique, le tourisme, la recherche, l’industrie automobile. Pour le tourisme, il serait judicieux de proposer une route de l’impressionnisme de Barbizon à Etretat en passant par Giverny en développant l’activité des croisières. Ou encore, attirer les étudiants d’un ouest francilien saturé vers les universités normandes pour éviter grâce à des coopérations équilibrées la fuite des étudiants vers Paris.

Ces coopérations pourraient se faire sans pourtant inventer une marque nouvelle.

Pour lors, la priorité des investissements sera d’assurer le correct désenclavement ferroviaire du fret généré par les GPM du Havre et de Rouen en développant une alternative Ouest-Est face à la concurrence Nord Sud d’Anvers et de Rotterdam : on parle de corridor « vallée de la Seine » mais il faut avoir conscience que le territoire régional normand est plus large même si on délaisse un peu l’Orne.

La vallée de la Seine doit pouvoir se gérer sans créer un échelon supplémentaire dans le mille feuilles territorial, sans lourdeurs pour que cela soit un grand projet d’aménagement du territoire : il faut néanmoins continuer à convaincre encore certains acteurs partenaires et acteurs encore rétifs. Par exemple la région Basse Normandie se posait encore quelques questions sur sa participation au CPIER Vallée de la Seine : la réunification normande sera un facteur très positif pour le démarrage concret du projet sachant que l’Ile de France qui a fait un geste n’en fait pas encore un projet prioritaire pour elle, la question du transport dans la région parisienne est tellement urgente (EOLE). La chambre de commerce et d’industrie de Paris se montre particulièrement indifférente, hésitant à demeurer encore dans l’espace de projets Paris Seine Normandie. Quoique relancée depuis 2008, la problématique de la vallée de la Seine peine à intéresser les Parisiens alors que la maîtrise et la remise à niveau logistique de l’axe Seine est un enjeu d’intérêt national.

A ce titre, l’enjeu de la fusion normande se trouve là avec l’expérimentation d’une métropole régionale tripolaire à proximité de la région parisienne.

C’est apprendre à traiter les problèmes d’aménagement et de développement à la bonne échelle territoriale : par exemple, les croisiéristes du Havre ont du mal à faire l’aller-retour dans la journée pour le Mont Saint Michel. Il faudra respecter la diversité des territoires normands. Mais d’une manière générale, une seule Normandie permettra une meilleure représentation des intérêts normands, un meilleur rapport de négociation pour obtenir les financements notamment vis-à-vis de l’Ile de France avec laquelle des déséquilibres se sont creusés. La Normandie aura donc une « position plus forte ».

Dispute :

Guy Baudelle : l’interrégional, c’est compliqué ! Quid du futur canal Seine Nord Europe, qui sera un corridor majeur qui va mettre les ports en concurrence directe pour la desserte de la région parisienne ?

François Philizot : pour l’instant, Le Havre tient 55% du marché francilien, Anvers 45% à l’aide de camions circulant sur l’A1. Le canal à grand gabarit ne sera pas à sens unique et il serait même possible pour Rouen et Le Havre de gagner des parts de marché sur Anvers : on pensera au trafic des granulats (carrières de plus en plus indisponibles en Ile de France). Pourquoi faut-il que les granulats marins norvégiens pour la région parisienne soient débarqués à Anvers plutôt que dans un port normand ?).

Quant aux céréales, les coopératives céréalières de Picardie et de Champagne seront branchées sur le futur canal avec du fret massifié : le port de Rouen, concurrencé par la Rochelle, Dunkerque et bien entendu par Anvers doit pouvoir prendre ce marché à condition d’être plus dynamique dans la promotion commerciale des ports de l’Axe Seine.

Quant aux conteneurs, actuellement, il faut 24 heures pour une barge sur la Seine entre Le Havre et Achères et trois jours  et 6 écluses entre Anvers et Achères : le canal Seine Nord Europe réduira ce temps de parcours quand il sera ouvert. Il faut donc mettre à profit le temps qu’il nous reste pour une sérieuse remise à niveau logistique de l’Axe Seine en amont des GPM du Havre et de Rouen : toute la logistique de la région parisienne est concentrée à GARONOR alors qu’elle devrait se relocaliser dans l’environnement immédiat des ports.

L’inauguration du nouveau terminal de fret ferroviaire du Havre va dans le bon sens.  Le site de port Radicatel en amont de port Jérôme (St Wandrille Rançon) pourrait accueillir un entrepôt valorisant le contenu des conteneurs. Il est vrai que nous avons eu à subir un « manque de portage politique de la notion d’aménagement du territoire » ces dernières années : l’équipement du territoire en infrastructures structurantes notamment dans l’ouest du bassin parisien n’est toujours pas achevé (ex : la route du blé RN 154 et sa transformation en A89 payante, l’absence du barreau Ouest / Sud Ouest pour contourner la région parisienne entre Rouen et Orléans)

Le 29 juin 2015 aura lieu une table ronde au Havre avec le secrétaire d’Etat aux transports Alain Vidalies sur la question de l’impact du futur canal SNE sur le développement de l’Axe Seine.

Philippe Cléris : Quel est le montant du CPIER programmé jusqu’en 2020 et quel est le montant exact de l’apport de l’Etat ? Est-il vrai que le contournement autoroutier Nord Est de Rouen n’est pas compris dans le CPIER ?

François Philizot : l’enveloppe projet se monte à 950 millions d’euros, l’apport de l’Etat se monte à 300 millions, les régions apportent 160 millions. Le contournement Nord-Est de Rouen ne sera pas dedans, le projet n’étant pas assez « mûr »…

La question est posée à nouveau de la possibilité pour une région de travailler harmonieusement avec une métropole et vice-versa…

François Philizot : il faut éviter ici la concurrence entre la région et la métropole, éviter ce que l’on observe dans Midi-Pyrénées avec Toulouse « Blanche Neige et les sept nains ». La métropole tripolaire normande est un laboratoire mais il y a encore du chemin à faire : Nantes et St Nazaire distant de 60km gèrent un SCoT commun. Il faudra à terme vers la création d’une agence d’urbanisme commune « Normandie métropole », ça finira par se faire. A Rouen ce fut même un peu compliqué pour créer une agence d’urbanisme pour la métropole (projet porté par Pierre Bourguignon, le maire de Sotteville-les-Rouen longtemps refusé par Laurent Fabius)

C’est l’occasion de prendre aussi les dernières nouvelles de la LNPN :

François Philizot : Le calendrier de la LNPN n’est pas impacté par les mesures de la commission Mobilités 21 et par les mesures d’économies préconisées par le rapport Duron. 36 millions vont être tout prochainement dépensés pour construire une 4ème voie en encorbellement sur la Seine juste avant Mantes pour l’accueil de EOLE et de la LNPN. Pour la traversée du Mantois, il faut 3,5 milliards d’euros (tunnel sous la forêt de Saint Germain, traversées de la Seine). Pour la section Rouen, gare rive gauche –Yvetot- Le Havre il faudra 1,5 milliards (gare et tunnel sous la Seine). On espère une Déclaration d’Utilité Publique en 2020 et une mise en service en 2028.

On revient une dernière fois sur la question portuaire :

Gérard Granier : HAROPA manque encore d’intégration. En terme de culture professionnelle, il est difficile de passer d’une culture de port de rente (autrefois les colonies et les hydrocarbures encore aujourd’hui) à une vraie culture de port de commerce. Tout l’enjeu d’une Normandie maritime sera de recréer une culture commerciale maritime locale qui n’existe plus. Il va falloir, par exemple, apprendre à mieux gérer le foncier et à intégrer les réalités du marché européen de la logistique. HAROPA n’est donc qu’une étape…

 

 

 

 

Quel projet pour le développement économique de la Normandie?

 Table ronde organisée par Gérard GRANIER, avec des acteurs de la société civile: 

Dominique DHERVILLEZ (Directeur de l'Agence d'urbanisme de la région du Havre et de l'Estuaire [AURH])

Pascal FEREY (Président de la Chambre d'agriculture de la Manche)

Pascal HUREL (Ancien directeur de l'Agence de développement économique de Caen-la-Mer) Jean-Claude LECHANOINE (Président de la CCI de Basse-Normandie)

Nicolas PLANTROU (Président du Conseil d'Orientation et de Surveillance de la Caisse d'Epargne de Normandie)

Paul SCHERRER (Ancien directeur général adjoint du Grand Port maritime du Havre)

Gérard Granier commence par présenter la liste des sujets à discuter : l’enjeu lancinant des transports ; les liens privilégiés (voire trop) entre Normandie et Ile de France ; les coopérations avec les régions voisines (Bretagne, régions ligériennes) ; les projets ; l’organisation de la future métropole tripolaire normande et le futur conseil régional.

Nicolas Plantrou : dès 2008, on a montré l’exemple en fusionnant nos caisses d’Epargne. Résultats très bénéfiques : +20 à +40% de développement du chiffre d’affaires, nous sommes désormais la 6ème caisse régionale française avec des équipes désormais 100% normandes. Le siège est à Rouen mais à Caen on trouve une antenne de la gestion nationale des CE et grâce aux mutualisations nous avons pu créer des centres d’affaires qui n’existaient pas avant (St Lô).

Paul Scherrer : le potentiel normand des Energies Marines Renouvelables. Sur 14 sites éoliens présents en France 9 pourraient être au large des côtes normandes. 3 sont lancés (Courseulles, Fécamp, Le Tréport). Cherbourg fabriquera les pâles, à St Nazaire les moteurs et les embases en béton. Quant au Havre, malgré la crise qui secoue le groupe Aréva, l’implantation prévue se fera via un nouvel opérateur Adven (9 mars 2015).

Jean-Claude Lechanoine : la marque « Normandie » doit être opérationnelle dès janvier 2016

Pascal Férey : dans l’agriculture, il y a une vraie fierté normande mais les gens de la « Haute » vont devoir s’habituer à travailler avec des gens qui sont moins riches qu’eux… La chambre régionale d’agriculture est normande depuis 32 ans mais il reste encore à améliorer la mutualisation entre les cinq chambres départementales.

Dominique Dhervillez : Il y a un vrai retard français en matière de corridors logistiques. L’Europe vient de baliser le corridor IV à partir de la vallée de la Seine mais à l’échelle européenne où l’essentiel du trafic se fait selon la fameuse dorsale « bleue », l’Ile de France et la Normandie forment une île mal reliée à cette Europe logistique. Le « back office » allemand est en Pologne et en république Tchèque et la vallée de la Seine, cul de sac à Paris en camion n’a aucun avenir, tout comme le maintien de la Normandie dans son rôle actuel « d’espace servant » de la région parisienne alors qu’elle pourrait être l’une des portes d’entrée maritime privilégiée de l’Europe à condition de développer le corridor ferroviaire vers l’Est et l’Europe centrale qui permettrait aux ports normands de dépasser Paris et de croiser l’isthme Nord-Sud (saturé) sur lequel prospèrent nos concurrents anversois…

Pascal Hurel : Il y a 800 « jeunes pousses » en Basse-Normandie. La Normandie pourrait être d’ailleurs une région leader pour la création d’entreprises. Sur le numérique, la candidature commune Caen-Rouen- Le Havre pour le label « french tech » est une réussite car cette démarche technopolitaine s’est faite à partir du local.

Pascal Férey : pour la filière laitière, l’affirmation normande sera un plus. La coopération dans le cadre d’un Grand Ouest laitier avec les Bretons du pôle Valorial n’est pas satisfaisante… Il ne faut pas se désarmer face à la Bretagne et à la Picardie !

François Gay : la mise en œuvre de ce corridor ferroviaire vers l’Est est indispensable.

Guy Baudelle : Quid de ces axes logistiques en Allemagne même ? La saturation sur l’axe isthmique Lille Paris Lyon Marseille menace. Quant au canal Seine Nord Europe, il existe déjà, c’est la Manche !

Dominique Dhervillez : on prévoit une hausse de 50% du trafic d’ici 2050 sur le continent européen mais en France (avec la SNCF) on sait perdre… Il y a urgence à faire le rail Est en profitant du fait que le phasage des travaux du futur canal SNE se fera du Sud vers le Nord : ça nous laisse un peu de temps…

Pascal Buléon : 25% du commerce mondial passe dans la Manche. La déshérence de la SNCF est scandaleuse. Il faut mettre de la valeur ajoutée dans la logistique de la vallée de la Seine pour ne pas faire que du transit. Il nous faut anticiper dès maintenant une catastrophe à venir : la fermeture programmée des grandes raffineries de la Basse Seine. La moitié du troupeau de nos vaches normandes travaillent pour l’export nous avons 14 AOC en Normandie, un record. Les structures publiques et les procédures ne doivent plus être des freins !

Pascal Férey : nos prochains marchés agricoles seront au Royaume-Uni, Allemagne et pays scandinaves pour des produits de très haute qualité. Il faut agir vite ! On se fait actuellement déboulonner sur les marchés nord africains du blé par les Brésiliens…

Robert Hérin : Il faut lier intimement l’économie, la recherche développement ou fondamentale et l’environnement. Ce serait là les bases d’un modèle de développement local normand.

Paul Scherrer : un canal peut être utile pour les chargeurs car une barge c’est aussi un stock flottant. Pour attirer au port du Havre, Il faut y développer des services qui n’existaient pas. Par exemple, l’avitaillement pour les navires en approche des ports  de la Rangée Nord européenne.

Nicolas Plantrou : le conseil régional devrait avoir comme mission prioritaire celle de réveiller l’esprit d’entreprise en Normandie

Pascal Hurel : D’après les Echos, la Normandie pourrait être la 1ère région française pour les pépinières d’entreprises ! La métropole normande en réseau existe déjà pour la promotion internationale de l’immobilier d’entreprise avec la marque « Normandy avenue » qui obtient un gros succès au salon international spécialisé de Cannes. Les milieux économiques et universitaires donnent l’exemple : les milieux administratifs et politiques sont à la traîne…

Armand Frémont : à l’attention du futur conseil régional de Normandie, quelle urgence exiger et quelle politique de long terme demander ?

Pascal Hurel : créer en Normandie une école du numérique décentralisée et en réseau et donner une visibilité internationale au potentiel normand (la qualité de vie couplée à l’innovation)

Nicolas Plantrou : que la Normandie région anglophile de par son histoire se mette enfin à l’anglophonie. Développer et soutenir l’esprit d’entreprise et ne plus en rester qu’à une simple administration de l’économie régionale.

Jean-Claude Lechanoine : associer les entreprises au fonctionnement de la future agence régionale de développement économique de la Normandie et aller clairement et fièrement vers la promotion de la marque « Normandie » qui est déjà connue dans le Monde entier !

Paul Scherrer : Jouer pleinement la carte maritime en construisant un vrai réseau des ports normands, développer la logique de « port center » au Havre, reconstruire une culture régionale de l’économie maritime. L’urgence c’est, bien entendu, l’urgence du fret ferroviaire associée à la LNPN : nos concurrents Néerlandais et Allemands, ont été capables de mettre 5 milliards d’euros pour faire le RER fret de la « Bituwe Line » en arrière de Rotterdam…

Pascal Férey : il faut construire une vraie gouvernance économique régionale être normand « pro-actif », développer l’attractivité en finir avec la fuite des jeunes et des talents hors de Normandie ! Ainsi, lorsque je dirigeai le lycée agricole de Coutances, j’avais un professeur de maths avec le CAPES, un Breton égaré à Coutances, qui s’est barré au bout d’un an. Il y a donc un énorme chantier de remise à niveau des formations et des … salaires !

Dominique Dhervillez : L’urgence ? Sortir de la résignation normande actuelle de n’être que l’espace servant de l’Ile de France. Paris siphonne la valeur ajoutée normande et faisant cela, l’Ile de France se trompe et s’aveugle sur le reste du Monde car l’ouverture maritime de la France au Monde, c’est la Normandie. Nous avons notre dignité à recouvrer…

Nicolas Plantrou : et la culture ?

Edith Heurgon : La Normandie doit mettre en avant son exceptionnelle qualité de vie, à comparer avec l’Ile de France et ne plus être que la servante de Paris, il doit y avoir, désormais, de la réciprocité. La Normandie doit relever un défi qualitatif.

Philippe Cléris : en matière de projet culturel, la Normandie propose une richesse exceptionnelle par sa qualité et sa densité. Il nous manque de bien la connaître, de la promouvoir et que les acteurs se connaissent et se reconnaissent davantage. Il faut travailler en réseau (ex : « Territoires baroques » en Haute Normandie). Relever aussi le niveau : créer, par exemple, une scène nationale d’opéra multi-sites en Normandie entre Lille et Bordeaux (à l’instar de l’opéra du Rhin pour l’Alsace).

Pascal Férey : l’autre grande urgence avec la formation de la jeunesse normande, c’est le désert médical qui progresse dans les territoires ruraux ou certains quartiers urbains déshérités. Il faut mutualiser les moyens et les projets entre les départements, les intercoms avec l’aide de l’ARS et du conseil régional. Il faut dans chaque canton un pôle local santé et de la fibre HD partout ! 3 millions de retraités vont arriver sur le marché normand dans les prochaines années : c’est l’enjeu de la « sylver économy »…

Jean-Claude Lechanoine : nous sommes pilotes avec la fusion des CRCI normandes qui n’a pas vocation à devenir la servante de la CCI de Paris. La Havre a toute légitimité pour être le siège de la future CRCI Normandie (2016) mais on fonctionne déjà en réseau sur les trois pôles urbains. On ne fera pas de grands déménagements, on utilisera les moyens innovants de la visio-conférence et du numérique. Pourquoi perdre du temps dans des déplacements inutiles ?

Nicolas Plantrou : Il faudra penser très rapidement à une alliance entre le futur Conseil régional et les trois grandes agglomérations normandes  ne serait-ce que pour promouvoir un marketing territorial efficace.

Pascal Hurel : « si tu veux faire vite, fais-le tout seul ! Si tu veux faire bien, fais-le avec les autres » (proverbe chinois)

Paul Scherrer : pour l’instant HAROPA c’est 100 personnes qui travaillent à Rouen et au Havre mais la stratégie est à … Paris !

Pascal Férey : je n’ai aucune confiance dans un Etat jacobin ! et encore moins dans le micro-jacobinisme où Rouen voudrait tout prendre  en laissant l’agriculture à Caen. L’Etat jacobin et centralisateur ne paye rien ou mal mais commande tout ! Nous ne sommes pas dans une vraie décentralisation.

Dominique Dhervillez : l’idéal serait d’avoir la capitale régionale la plus éloignée possible de Paris, parier sur le décentrement rural et maritime. Il faut avoir l’honnêteté d’observer que Rouen, devenue de fait une banlieue de Paris, n’a pas su développer une vraie culture de capitale régionale : certains Rouennais n’aiment pas la Normandie.

Gérard Granier : il n’y a eu de votre part aucune plainte ! Vous êtes déjà dans la dynamique de l’unité normande. C’est bien !

 

Jacques Lévy

Réforme territoriale: l'enjeu, c'est la justice spatiale et le développement

Conférence débat

 

Je suis déçu en bien comme on dit chez moi en Suisse. Très heureux de pouvoir participer à ce colloque.

Le grand enjeu c’est la justice spatiale et le développement territorial : penser spatialement la politique et penser politiquement l’espace dans une société d’acteurs. André Siegfried fut, à ce sujet, un pionnier : la géographie est une science de l’environnement, une anthropologie du temps long appliquée à l’espace. Les sociétés sont des environnements qui influent notre comportement individuel, le décor dicte notre comportement et l’esprit humain est conditionné par l’environnement, à commencer par le corps qui finit par nous tuer !

Les acteurs agissent dans un espace, sur un espace mais ces « spatialités » sont diverses, ne se recoupent pas et les circonscriptions territoriales qui permettent l’action publique sont bornées…

La carte institutionnelle, héritée,  ne correspond pas à la carte toujours mouvante des usages individuels : il y a tension entre des territoires bornés et stables et les « spatialités » de fait

Certaines institutions tentent d’en tenir compte pour reconstruire les cartes : ainsi l’INSEE avec sa nomenclature des « aires urbaines ». On est donc encore dans la vieille illusion de la « politéia / polis » de Platon, un territoire homogène, continu et sans trou pour éviter la guerre civile pour établir la justice et la paix, pour tenter de faire correspondre le territoire de la décision et le territoire où doit s’appliquer concrètement la décision. C’est penser le futur pour éviter d’être livré au seul présent, le présent au risque de la guerre civile. La recherche légitime de stabilité pour assurer le futur s’oppose à la « spatialité » toujours au présent, une inter-territorialité spontanée qui ne profite qu’à ceux qui sont hyper mobiles, les dominants, qui pratiquent une certaine forme de « désinvolture » territoriale (Martin Vannier).

Qui sont les électeurs ? Le nombre d’habitants au km² ou des êtres humains ?

Autre problème, identitaire, celui-là : les morts doivent-ils gouverner les vivants ? (cf. Chesterton)

Comment appréhender ces « spatialités » ? Par les mobilités domicile- travail ? En fait, ces mobilités dites « sérieuses » ne concernent que 1/5 des mobilités observées. Les aires urbaines forment des archipels en relation complexe.

Au niveau social : il est vrai que ce sont dans les centres villes des plus grandes agglomérations que l’on trouve le plus de ménage à une seule personne et les plus hauts revenus. Avouons, néanmoins, que Christophe Guilluy triche un peu sur les ouvriers frontistes tous relégués ou presque en périphérie en arrière d’un « anneau des Seigneurs », c’est-à-dire, ces banlieues résidentielles chics et aérées que l’on trouve à l’Ouest des métropoles… (pollution atmosphérique oblige). Ne pas faire de déterminisme géographique sur le vote FN même s’il est vrai que les pauvres ne peuvent plus arbitrer ce que la classe moyenne peut encore  se permettre, sachant que les riches et hyper riches n’ont plus besoin d’arbitrer quoique ce soit !

Personne n’a été déporté de force dans le péri-urbain : la classe moyenne fait des choix spatiaux rationnels (prix du m², distance- temps, consommation énergétique) et le mode de vie urbain ou péri-urbain s’est généralisé y compris et surtout dans le monde rural, la sédentarisation est devenue marginale : elle signe même une certaine forme d’exclusion sociale.

Au niveau identitaire : les différences régionales héritées du passé se sont affaiblies ou alors sont réinventées sur de nouvelles bases par les individus conscients de leurs choix.

Ainsi, encore dans les années 1980 on pouvait encore se poser la question : « l’Ouest bouge-t-il ? » Maintenant en 2015 on sait que l'Ouest a bougé notamment dans les urnes (progrès du parti socialiste et du Front national au détriment des valeurs d’un catholicisme sociologique en phase terminale)

La question de la solidarité territoriale ou de la péréquation républicaine est sur la table (Davezies), ainsi, la question du logement social et la localisation des HLM généralement dans des endroits pas chers où des familles pauvres étaient déjà installées, généralement mal situés (au Nord, à l’Est près des zones à risques et des nuisances), avec, à terme, la constitution de « ghettos » malgré le pragmatisme des offices HLM pour tenter de les éviter (Guilluy).

Au niveau national, il faut admettre le rôle redistributif de la région parisienne au profit du reste du territoire métropolitain français : 12 millions d’habitants concentrés en Ile de France, 31% du PIB national (soit 600 milliards d’euros par an) mais seulement … 5 milliards de budget annuel pour le conseil régional qui doit gérer les problèmes quotidien de la première région urbaine d’Europe ! L’Ile de France est donc pour ce qui est des politiques publiques de territoire, la région de France la plus en retard avec les inégalités les plus fortes en France …

D’où la question suivante qui fait peur agitée par certains promoteurs du régionalisme en Europe : faut-il continuer à faire payer les pauvres des régions riches pour les riches des régions pauvres ?

Parlons un peu de la réforme territoriale en cours en France depuis 2014 : c’est NUL !

Allez dire, par exemple, aux Alsaciens qu’une région unique pourra bien gérer, à la fois, les problèmes du péri-urbain parisien dans la Brie champenoise et les quartiers difficiles de Strasbourg !

Outre l’absurdité totale d’avoir eu à définir le contenant avant le contenu en niant les réalités locales, en niant la différenciation géographique du territoire français (refus d’expérimenter la collectivité territoriale unique sauf pour la métropole lyonnaise), en plaquant cet argument débile de la « taille critique européenne » via une comparaison niaise avec les lander allemands - je propose des stages en camps de rééducation en Corée du Nord pour nos énarques - en manquant de courage face au lobby départementaliste emmené par le PRG, la réforme en cours à trois… vertus !

1)      Il y a enfin une réforme importante

2)      On sort enfin de la culture DATAR  à la Jean-François Gravier, ce gaillard passablement antisémite collabo sous Vichy qui se méfiait du fait urbain et des métropoles cosmopolites où il y a forcément des Juifs… On admet enfin, dans ce vieux pays centralisé et « agrarien » qu’il n’y a pas que le natalisme à des fins militaires et que les grandes villes ne font pas que capter des richesses produites ailleurs (préjugé « physiocratique ») tout en perturbant nos jeunes venus y chercher un avenir : les métropoles, au contraire, fixent et construisent l’avenir des territoires. La cohérence métropole- région est enfin (partiellement) réalisée…

3)      Cette réforme est en train de passer : en soi, c’est déjà un miracle… On pourra donc en faire passer d’autres !

 

Cessons de considérer l’individu comme la plus petite échelle du Monde pour, au contraire, admettre qu’il est un acteur multiscalaire : il y a le local où il fonctionne au quotidien (si on s’en tient à une vision utilitariste ou fordiste, un peu triste, de la société) mais il y a aussi le régional et ou le national qui sont nécessaires pour son confort identitaire : cette échelle-là ne saurait être vécue comme une contrainte si l’on considère avec Hannah Arendt que dans un état démocratique, la politique doit gérer et générer des libertés. A ce niveau, il s’agit d’accorder les libertés pour que les individus soient plus ce qu’ils voudraient être…

On peut considérer que la France forme, en fait, avec elle-même, une seule région , entre le local et le mondial, même si des identités régionales fortes s’expriment aux périphéries françaises avec le risque de réveiller la géopolitique infra-nationale, une géopolitique de l’égoïsme territorial : si la réunification bretonne consiste en un jeu de taquin faisant des Ligériens une variable d’ajustement d’une géographie qui ne les concerne pas, parce qu’il faut bien que les gens habitent quelque part, alors à quoi bon ? Même remarque avec le processus de dévolution dans le Royaume-Uni qui stimule le différentialisme écossais qui peut titiller Bretons, Alsaciens, Savoyards, Basques souhaitant expérimenter la collectivité territoriale unique : dans ces cas, les ressources « subjectives » sont aussi importantes que les « ressources objectives » .

Si l’on s’en tient à une observation objective des pratiques spatiales à partir des aires urbaines et des métropoles, on pourrait découper la France en dix régions, dont une région « Bassin Parisien » de 18 millions d’habitants !

Alors, la Normandie là-dedans : elle pourra exister en tant que telle que si les Normands le veulent, pour démontrer contre l’évidence actuelle qu’elle peut sortir de la servitude volontaire qui la lie à la mégalopole parisienne. La Normandie présente une « faible identité » (sic !) et la réunification normande et la construction d’une métropole régionale en réseau de trois villes, voilà un programme très volontariste suite à une décision élyséenne qui s’est imposé à la pusillanimité des élus normands

Tout projet territorial doit être conscient des limites de ses limites.

Dispute :

Après une conférence aussi stimulante et provocatrice, les réactions sont nombreuses dans l’assistance… Pascal Buléon s’étonne de la mixité de la méthode suivie pour arriver à un découpage en dix régions (à la fois une approche constructiviste rationnelle et une approche plus subjective quant à l’appréhension des identités régionales). Armand Frémont pose concrètement l’impossibilité de gouverner une méga-région « bassin parisien » de 18 millions d’habitants en prenant l’exemple du recteur pour reprocher à Jacques Lévy de faire disparaître le beau nom de Normandie. Plusieurs personnes font remarquer le deux poids deux mesures quant aux fameuses ressources subjectives disponibles sur le territoire qui feraient qu’une Bretagne élargie à l’Ouest et une Alsace préservée à l’Est ont droit d’exister dans la proposition Lévy et non pas la Normandie. Sur ce point essentiel, la proposition à dix régions de Jacques Lévy aussi brillante que puisse être sa conférence, a les mêmes défauts que le projet gouvernemental à 13 régions.

 

Dimanche 14 juin 2015 : Gouvernance et démocratie

Conférences de Michel Bussi, Dominique Gambier et Robert Hérin. Colloque placé sous la direction de Bruno Lecoquierre

Introduction par Bruno Lecoquierre :

Gouvernance et démocratie, l’expression est euphémisante car qui dit territoire, dit pouvoir et certaines affirmations identitaires peuvent être dangereuses mais ce lien dans l’espace et le temps est charnel, on ne peut s’en passer ! Quand on modifie la carte des territoires on prend le risque de sauter dans l’inconnu. Réduire deux conseils régionaux en un seul et, au contraire, démultiplier par trois une capitale régionale, voilà la nouvelle et ambitieuse équation normande avec des Normands qui vont avoir à s’approprier (si ce n’est déjà fait) ce nouvel espace régional. Quoiqu’on puisse en penser, le débat sur la localisation des futures institutions régionales intéresse les citoyens, ainsi que la recherche de solutions innovantes : il en sera largement question en décembre 2015 à l’occasion des premières élections régionales normandes.

Michel Bussi

Démocratie et région

Le lien entre démocratie et région c’est d’abord celui du modèle de la région européenne identitaire : Bretagne, Ecosse, Catalogne… Alors qu’en France, la « région » est  la collectivité territoriale la plus éloignée de l’imaginaire des habitants. Le conseil régional est une institution récente : les premières élections régionales au suffrage direct eurent lieu en 1986. Il s’agit de régions programmes technocratiques histoire de gommer « la province », la peur jacobine de donner une tribune politique aux régionalistes est toujours présente alors que ces derniers ne font pas plus de 5 à 10% des voix dans une élection locale. Les listes et les partis régionalistes restent marginaux en France.

Il n’y a donc pas de lien fort entre régionalisme et enjeux de la régionalisation (sauf dans les revendications des réunifications normandes et bretonnes) : l’élection régionale est avant tout une élection locale de mi-mandat permettant de se défouler contre la majorité présidentielle en place qui permet d’en mesurer la popularité avant le retour de la reine des élections, l’élection présidentielle. Les enjeux régionaux sont donc systématiquement confisqués.

Malgré la perspective stimulante d’avoir à faire renaître la Normandie, on peut craindre qu’en décembre 2015, les premières élections régionales normandes n’échappent pas à la règle : il y aura probablement un vote sanction contre la majorité présidentielle actuelle et mise à part le cas particulier de l’Alsace (toujours à droite) les présidences de région ne sont pas politiquement stables, la droite tout comme la gauche ont eu droit depuis 1986 à leur grand chelem régional. Quant aux « barons » régionaux, (Auxiette, Huchon ou Frêche) tout baron soient-ils en ayant transformé villes et territoires, ils ont moins de notoriété qu’un député / sénateur –maire qui fait cinq mandats !

Dès le départ (référendum sur la régionalisation de 1969), les régions sont un problème politique. En 1992, après l’introduction d’un mode de scrutin à la proportionnelle par le gouvernement socialiste, le Front National se voit être l’arbitre à droite : Charles Million acceptera d’être élu président de Rhône-Alpes avec les voix du FN en compagnie d’un vice-président frontiste… Chose qui sera refusée par Antoine Rufenacht en 1998 au CRHN ce qui permettra au socialiste Alain Le Vern d’être élu président de région. Le mode de scrutin a été changé depuis.

Les élections régionales ont progressé néanmoins dans leur médiatisation, entre élection présidentielle et élection municipale.

Le mode de scrutin est complexe sinon paradoxal : l’élection régionale se fait sur la base de listes départementales paritaires. Les têtes de listes sont départementales alors que le débat public a porté sur la désignation d’une tête liste « régionale ».  Du côté du cumul des mandats, il est moins répandu au conseil régional qu’ailleurs (notamment au département avec la traditionnelle double casquette conseiller-général / maire). Le mode de scrutin peut aussi poser problème : que pourrait-il se passer en cas de conquête d’une majorité régionale par le Front National ?

Les prochaines élections régionales à l’occasion de la réforme territoriale, en particulier en Normandie, permettent de mettre en débat le lien entre identité, région et démocratie. La société civile régionale sera donc consultée même s’il existe des instances ad hoc mais qui demeurent peu connues (ex : le CESER).

Enfin, le cas du référendum alsacien sur une collectivité territoriale unique montre que rien n’est acquis d’avance même s’il pourrait paraître légitime d’entériner la fusion normande par un référendum… après avoir tranché la question de la capitale : ce serait un référendum sur le projet normand. On peut toujours rêver !

Conclusion : a priori, vu le caractère exceptionnel des enjeux régionaux en 2015, les élections régionales pourraient enfin l’être en Normandie. Mais les pesanteurs politiciennes sont fortes tant il est difficile de penser l’assemblée régionale autrement que comme une assemblée des territoires de la région. Tant que la dimension régionale sera politiquement sous-investie il en sera ainsi tant à gauche qu’à droite, malgré un effort de médiatiser ces premières élections régionales normandes par la presse quotidienne régionale notamment sur la question de la future capitale et l’inquiétude pour la ville qui serait « déchue » : c’est donc, une nouvelle fois, confisquer le véritable enjeu régional de ces élections…

 

 

 

Dominique Gambier

« Je suis très réservé sur le processus de fusion »

Quand on parle de « région », il faut autant penser l’institution responsable d’une action publique qu’à un espace vécu. La plus grande taille d’une organisation ne garantit pas une meilleure efficacité : je ne crois pas au « big is beautiful » mais la loi est passée, il va falloir gérer les risques de la fusion normande et nos amis géographes ont sous-estimé le contexte dégradé des finances publiques.

Précisons que la Normandie est à mettre à part, qu’il y avait peut-être un sens historique à faire la fusion normande.  Mais même en Normandie, la fusion sera difficile ! Alors parlons de la situation ailleurs en France, c’est pire : quel sens ? Que va-t-on faire et comment ? Renforcer la démocratie locale ? Faire des économies ? Simplifier ?

Du sens ? Il n’y en a aucun ! Cette carte à treize est parfaitement arbitraire ! Tous les critères ont été mélangés dans l’improvisation la plus totale !

Encore plus arbitraire de fixer la taille du contenant avant de penser au contenu dans le cadre d’une loi « NOTRe »  de plus en plus illisible  après plusieurs mois de travail parlementaire. Aucune évaluation des impacts du processus : le rapport de l’Assemblée Nationale sur ce point essentiel est insignifiant ! Il faut craindre que cette réforme ne renforce la défiance déjà profonde entre les citoyens et la classe politique et que des contestations de collectifs citoyens n’apparaissent ces prochains mois en réveillant les démons des identités régionales.

Aucune limite administrative n’est satisfaisante : on le voit particulièrement avec la question de la gestion des bassins versants transférée aux Intercoms dans le cadre de la loi MAPAM, une vraie catastrophe !

Plus que jamais, il est impératif de bien identifier qui fait quoi dans l’action publique et en finir véritablement avec la clause de compétence générale.

Les arguments utilisés pour vendre cette réforme territoriale sont particulièrement contestables :

1)      L’argument de la taille critique européenne, à partir d’une observation trop rapide du cas allemand est parfaitement ridicule ! Ce qui compte, ce n’est pas la taille géographique, c’est la puissance de l’action publique (compétences et moyens financiers et budgétaires). En Europe, il y a généralement, trois niveaux territoriaux pour l’action publique : on sait partout qui fait quoi… sauf en France ! Concernant l’étendu et la densité des territoires : la France a des territoires plus divers et moins denses que l’Allemagne.

2)      Faire des économies ? C’est une plaisanterie ! On est passé assez piteusement de chiffres non vérifiés mais annoncés à l’aveu d’un coût qui sera très élevé pour gérer les conséquences en matière de ressources humaines dans la fonction publique territoriale, notamment, la question de tout aligner vers le haut ou l’harmonisation, par le haut, des politiques publiques en prenant le meilleur des deux régions fusionnées. Ainsi en Normandie : la politique culturelle envers les jeunes ou la question de la desserte maritime transmanche qui marche mieux en Basse qu’en Haute Normandie. Toutes les politiques publiques régionales ne pourront pas être harmonisées, il y aura de la casse…

Revenons encore sur la question de la taille : il est finalement assez faux de croire qu’une organisation de grande taille permet de faire des économies de fonctionnement. Il y a souvent des faux frais liés à la taille de l’organisation justement, au détriment de la qualité de l’organisation (cf. Galbraith). L’université du Havre est une petite université mais sur ses spécialités propres (économie maritime) elle a une grande réputation. Il n’y aura donc pas d’économies à attendre sauf à réduire l’action publique !

Cette réforme territoriale par fusion va surtout déstabiliser durablement l’action publique régionale au moment où notre pays qui sort d’une grave crise financière et économique en a le plus besoin. La fusion, généralement, c’est un gros qui mange un petit avec un pilotage autoritaire « d’en haut » car les fusions sur la base du volontariat sont rares et demandent beaucoup de temps et de confiance.

Pour pouvoir aller vite, cela sera coûteux, ne serait-ce que pour les appels d’offre nécessaires pour harmoniser le fonctionnement des services régionaux : c’est la raison pour laquelle, le vote du futur budget régional normand a été repoussé au mois de mai 2016 (au lieu de mars) sans compter que les régions qui ne fusionneront pas ont annoncé qu’elles ne veulent pas contribuer pour aider celles qui doivent fusionner.

Autre exemple des complexités à surmonter, ne serait-ce que pour la Normandie : l’harmonisation des politiques de gestion des fonds européens entre Haute et Basse Normandie ou la gestion des relations futures entre le conseil régional de Normandie et la métropole de Rouen avec un risque de chevauchement sur les compétences et le périmètre. On va donc perdre du temps en Normandie alors qu’en Ile de France et en Bretagne, ils vont avancer au même rythme…

Pas de simplification en vue donc : le millefeuille n’est pas au niveau des collectivités territoriales qui seraient trop petites mais de toutes ces agences parapubliques (syndicats mixtes ; EPCI ; GIE ; GIP…)  qui vivent des financements croisés ou encore de l’effet de doublon entre les agences de l’Etat « déconcentré » en région et les agences du conseil régional (ex : la culture) non sans oublier que les métropoles et les intercommunalités auront finalement les mêmes missions mais avec des statuts juridiques différents !

Conclusion :

Cette réforme territoriale est donc très mauvaise, car elle est construite, faute d’en avoir eu le temps et la volonté, sur des a priori peu fiables ou faux (méthode de la fusion) au risque d’approfondir le fossé entre citoyens réclamant de la lisibilité et de la proximité et les institutions publiques, au risque aussi de faire ressurgir les questions identitaires régionales… sauf en Normandie bien sûr où il pourra y avoir une harmonie entre la carte de l’action publique et la carte identitaire même si cela restera difficile aussi !

Confusion entre bouger la carte des territoires et maîtriser les finances publiques des collectivités : on n’impose pas de façon arbitraire et autoritaire le territoire aux acteurs locaux, il aurait fallu avoir le temps d’un vrai débat approfondi sur la question régionale en France, pour dégager une vision et accompagner ceux qui voulaient vraiment fusionner (le contrat plus que la norme imposée)

On s’éloigne donc de l’idéal de la décentralisation qui était celui d’un processus aboutissant à l’autonomie de collectivités territoriales responsables face à l’Etat central. Au lieu de cette logique autoritaire de fusion, il aurait été plus utile de renforcer les logiques de réseau et l’accompagnement des coopérations interrégionales au lieu de cette confusion faite entre espace de coopération interrégionale et territoire régional (sauf pour la Normandie, répétons-le…)

 

Dispute :

Nicolas Plantrou : il faut savoir avancer à petits pas vers la régionalisation sachant que les recettes fiscales sont toujours appropriées par l’Etat central

Dominique Gambier : il s’agit de critiquer la réforme territoriale en cours sur le fond. Sauf pour la Normandie !

Nicolas Plantrou : pas sûr que le développement d’établissements publics de coopération interrégionale aurait été plus efficace, ce sont souvent des usines à gaz !

François Gay : j’ai l’impression d’entendre Michel Rocard : « bien entendu, on ne fera rien ! »

Edith Heurgon : Monsieur le procureur Gambier, il faut savoir critiquer mais surtout pour reconstruire…

Pierre-Henri Emangard : En effet, le critère de la plus grande taille n’en est pas un. D’accord aussi avec le diagnostic sévère d’une réforme territoriale bâclée et improvisée mais dont le seul bénéfice est celui de la fusion normande.

Dominique Gambier : De là à bouleverser la géographie régionale d’une bonne partie du pays ! Je suis effaré par le fonctionnement de la classe politique : de la com, que de la com ! On est en plein « présentisme » !

Philippe Cléris : vous avez raison de sonner le tocsin contre cette réforme mal fichue et d’ores et déjà contestée, notamment dans l’Est de la France (projet de recours devant le Conseil d’Etat au motif de non- respect de la charte européenne des autonomies locales signée par la France). Mais, concernant la Normandie,  votre propos me fait surtout penser à ce mot de Churchill : « les pessimistes font de chaque opportunité une difficulté et les optimistes, de chaque difficulté une opportunité ». Enfin on pourrait vous objecter qu’en 2008, un rapport d’évaluation de la fusion normande réalisé par deux cabinets d’audit internationaux (INEUM et Edater) à la demande des exécutifs régionaux de l’époque, avait conclu aux effets largement positifs d’une fusion normande pour l’action publique sur les territoires normands. (ndlr : esprit d’escalier oblige, ce dernier argument n’a été présenté à l’intéressé qu’ultérieurement…)

Pascal Buléon : on partagera votre diagnostic sévère, on pourrait même parler d’erreur politique… Sauf pour la Normandie !

Dominique Gambier : la fusion normande elle-même, malgré son évidence va générer des problèmes. La campagne électorale ne nous parlera que d’équilibre des territoires et cela ne constitue pas en soi un projet stratégique de territoire. Avec une telle préoccupation, on risque une « cantonalisation » des futures grandes régions.

Lilian Loubet : dompter la complexité, c’est pourtant ce qu’on demande aux élus !

Madeleine Brocard : contrairement au discours pessimiste qu’on entend ici, les Normands se mettent à bouger grâce à la perspective de la fusion.

Dominique Gambier : D’accord ! Mais les finances publiques sont dégradées, on risque surtout de décevoir les Normands !

Armand Frémont : D’accord avec une grande part avec Gambier mais pas d’accord avec votre pessimisme systématique appliqué aussi à la Normandie. Pendant longtemps, j’ai été comme vous, guère fanatique de l’idée de fusion normande voire farouchement opposé à l’idée d’identité normande. Mais, en même temps, je voyais que la Normandie était l’oubliée des politiques publiques. C’était une région en crise sans que personne ne le dise ! J’enrageai, j’étais loin… Faisant ce constat, je suis devenu un fervent adepte de l’union et j’en suis très heureux. La réforme est mauvaise ? On pourrait démonter ces arguments sauf sur la question du découpage régional proposé qui est, effectivement, aberrant ! Le « Grand Est » c’est du grand n’importe quoi ! Un autre bout de réforme va forcément arriver dans deux ou 20 ans ! En attendant, ça nous oblige à réfléchir et la Normandie est un laboratoire.

Isabelle Saint-Yves : d’accord aussi avec ce réquisitoire, la réforme est vraiment désastreuse. Par contre, je ne peux pas laisser dire que la recherche d’un équilibre entre les territoires d’une région soit le contraire d’une vision stratégique ! Ne pas sacrifier certains territoires à la seule exigence d’efficacité et de compétitivité c’est aussi de la stratégie. Quand on change le périmètre territorial, on pleure mais s’il s’agissait de revenir en arrière, on pleurerait encore plus !

Une représentante de la DREAL BN : a priori, la recomposition des services de l’Etat déconcentré en région, doit se faire par pôles. Pour la Normandie, ce sera Caen et Rouen et la complexité de la réforme consiste à croiser cohérence thématique et cohérence territoriale.

Dominique Gambier : le risque c’est le saupoudrage quand on parle d’équilibre des territoires. On risque de changer en enfumant les gens. Et les gens ne bougent pas car ils ont peur : il faut un projet contre la peur.

NDLR : Monsieur Gambier ! La Normandie c’est LE projet contre la peur !

 

Robert Hérin

La Normandie, entre métropole et ruralité, quel équilibre ? Quelle solidarité ?

 

Dans mes sabots normands, je n’ai pas de paille génétique ou identitaire, ils me servent surtout à avancer. Nous avons la chance historique de participer à un projet mobilisateur : la rupture de la fusion normande est dynamique ! C’est l’occasion de réfléchir à des cadres territoriaux mieux adaptés. La région pourrait être le cadre idéal mais le désarroi démocratique est profond : il y a urgence à réinventer la démocratie locale face aux contradictions générées par le Libéralisme sur les périphéries sociales et territoriales du capitalisme financier mondial.

Entre équilibre et « cantonalisation », les politiques publiques régionales doivent retourner au réel, au concret.

La question de fond : qu’est-ce que la métropolisation, phénomène mondial, et quelles en sont les conséquences sur les territoires ? D’un côté la concentration des fonctions stratégiques dans les métropoles, de l’autre des périphéries et des inégalités… forcément ?

Autre question : il y a en ce moment des livres vite faits mal faits qui ont une grande audience en posant de vraies questions mais proposent de mauvaises réponses ou de mauvaises méthodes d’analyses. Ainsi Christophe Guilluy  « La France périphérique, comment a-t-on sacrifié les classes populaires ? » ou Emmanuel Todd « Je suis Charlie, sociologie d’une crise religieuse ». Ils font l’opinion tout en étant très contestables !

Il faudrait voir si les hypothèses brassées dans ces ouvrages de grande audience se vérifient sur le terrain : ainsi, le vote Front National en Normandie (ex : en 2012). On s’aperçoit de suite qu’il ne s’agit pas d’un vote périurbain mais d’un vote beaucoup plus éloigné des métropoles, celui de certaines marges rurales très spécifiques telles que les marais du Bessin et du Cotentin ou le Sud du Pays d’Ouche ou le fond du pays d’Ouche.

La carte des inégalités en terme  de revenus fiscaux des ménages confirme quant à elle la carte de la métropolisation (cf. Davezies) : les zones où les revenus fiscaux sont inférieurs à la moyenne nationale sont dans le Cotentin, l’ensemble des bocages, le sud du Pays d’Auge et le pays de Bray.

La pauvreté, définie en deça du seuil de 60% du revenu médian national, soit 990 euros / mois, concerne donc 15% des foyers en Basse-Normandie et 17% en Haute-Normandie, essentiellement dans les banlieues des grandes villes et au fin fond des bocages. Mais en Normandie, la pauvreté est plus urbaine (15,5%) que rurale (8,5%) et cette pauvreté urbaine est plus présente dans les petites villes des territoires ruraux de l’intérieur que dans les quartiers de banlieue des grandes agglomérations. Ces petites villes, frappées de plein fouet par la crise industrielle, n’avaient pas encore bénéficié jusqu’il y a peu, des grandes politiques publiques d’aide mises en place par le ministère de la Ville.

Où sont les cadres ? Sans surprise, on retrouve la carte du périmètre étudié pour l’Axe Seine. Où sont les ouvriers ? La même carte que la précédente ou presque, mais en négatif, avec, il est vrai, un nombre important de ménages ouvriers habitant dans des territoires ruraux ou péri-urbains.

L’unification du pilotage des politiques publiques régionales sur l’ensemble des territoires normands ne sera pas une catastrophe, contrairement à ce que pourrait penser Dominique Gambier, ce sera même une chance et un moyen supplémentaire permettant de saisir enfin la géographie normande telle qu’elle est !

Les questions de solidarité et d’équilibre vont être fondamentales pour accompagner le creusement des inégalités territoriales entre les territoires attractifs (ex : les littoraux ; le périurbain autour de Caen, de Rouen ou à moins d’une heure de Paris dans l’Eure). C’est, bien entendu, la question des déserts médicaux notamment dans l’Orne et dans l’Eure…

C’est aussi et surtout la question de la formation des jeunes et sur ce point, il faudrait alerter car la Normandie, depuis plus de 30 ans traîne un boulet de moindre réussite ou de moindre ambition scolaire. Ainsi, la carte publiée  des risques « sociaux scolaires » montre que ces poches d’échec scolaire n’ont pas bougé depuis plus de trente ans.

La Normandie a la chance de posséder un réseau urbain très dense : c’est un atout à condition de l’utiliser et faire de ces petites et moyennes villes des relais de la métropolisation pour la diffuser. Il faut être volontariste car ces petites villes connaissent de sérieuses difficultés économiques. La reconversion des industries fordiennes n’est pas achevée, le secteur agro-alimentaire est en crise (cf. abattoirs industriels). Une des solutions serait d’associer innovation, artisanat, petites industries, qualité agricole et environnementale et proximité en profitant des possibilités nouvelles d’organisation que nous offre la révolution du numérique.

Conclusion :

Urgence de la solidarité territoriale

La métropolisation ne doit pas accentuer la fragilité des périphéries : les bénéfices doivent être partagés. Renouveler la démocratie locale en l’ouvrant à la démocratie participative avec tous les acteurs locaux de la société civile. Renforcer la proximité en proposant une éducation populaire aux questions de territoire et de spatialité. Urgence de résorber le désert médical. Urgence de s’occuper de notre jeunesse et de l’accompagner dans la formation et ses ambitions : trop souvent, nos jeunes n’ont pas trouvé un emploi là où ils ont été formés.

 

Dispute :

Madeleine Brocard : il faut effectivement plus parler de solidarité que d’équilibre des territoires

Yves Guermond : la carte de l’échec scolaire est une carte en peau de léopard… normand !

Michel Bussi : comment pourrait-on intégrer les quartiers populaires des grandes villes normandes (ex : les Hauts de Rouen) à l’identité de la nouvelle région normande ?

Philippe Cléris : le rap en cauchois… Une idée à expérimenter !

 

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