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Sire de Sei, la Normandie en toute liberté!
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7 février 2023

Michel Feltin-Palas: "Défendre les langues régionales, c'est défendre un droit de l'Homme."

Au lendemain de la disparition de Didier Patte, nous publions le dernier billet proposé par Michel Feltin-Palas, notre héraut ou héros national du patrimoine plus que jamais menacé de nos langues régionales...

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Défendre les langues régionales, c’est défendre un droit de l’Homme 

 Défendre les langues régionales, c’est défendre un droit de l’Homme (lexpress.fr)

 

Dans un courrier officiel, l'ONU reproche à la France de ne pas respecter les droits linguistiques.

L’affaire n’a pas fait les grands titres des journaux ; les défenseurs des libertés ne se sont pas mobilisés et, à ma connaissance, BHL ne prépare aucun film sur le sujet. Et pourtant… L’été dernier, le gouvernement français a reçu une missive cinglante de la part du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, après une plainte déposée par le réseau européen des langues régionales ELEN. En voici un extrait : "Nous craignons que l’adoption et l’application de cette décision puissent entraîner des atteintes importantes aux droits humains des minorités linguistiques en France."

"Cette décision" ? Celle du Conseil constitutionnel déclarant en 2021 contraire à la loi fondamentale certains articles de la loi Molac de promotion des langues régionales. Et notamment celui visant à étendre à l'enseignement public l’enseignement dit "immersif" - dans lequel une majorité de cours a lieu en occitan, en breton, en basque, etc. Eh oui ! Bien qu’on l’ignore souvent en France, la protection des droits linguistiques est bel et bien un droit de l’Homme. En attestent de nombreux textes internationaux – à commencer par l’article 2 de la Déclaration universelle du même nom : "Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation." Mais il en est bien d’autres, à valeur contraignante, et notamment ceux-ci :

• ONU, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 26 : "La loi […] garantit à toutes les personnes une protection égale et effective contre toute discrimination fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou autre statut" (article ratifié par la France en 1980).

• Conseil de L’Europe, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, article 14 :"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » (article ratifié par la France).

• Union européenne, Charte européenne des droits fondamentaux, article 21 : "Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle" (charte contraignante pour tous les Etats-membres depuis 2007).

On pourrait encore poursuivre cette énumération, mais venons-en à l’essentiel. "Pour le Conseil d’Etat, les traités internationaux ont une valeur supérieure à celle d’une loi. La ratification de ces textes a donc valeur légale et même constitutionnelle", comme le souligne le sociolinguiste Philippe Blanchet. Il reste donc à comprendre pourquoi ils ne sont pas appliqués en France.

Une vision très singulière

La réponse tient à la manière très curieuse qu’a l'Etat français de concevoir la Nation. Dans la tradition républicaine, en effet, il est censé n’y avoir chez nous qu’un seul peuple, le peuple français, dont l’unité a valeur constitutionnelle. C’est en tout cas ce qu’a affirmé en 1999 le Conseil du même nom pour refuser la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Selon lui, ce principe fondamental "s’oppose à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit".

C’est peu dire que cette vision très singulière n’est pas partagée par nos voisins. En Italie, par exemple, les droits linguistiques des minorités sont au contraire inscrits depuis 1948 parmi les principes fondamentaux de la Constitution : "La République protège par des normes particulières les minorités linguistiques" (article 6). En Suisse, "les langues nationales sont l’allemand, le français, l’italien et le romanche." (article 4) tandis que "les cantons déterminent leurs langues officielles." (article 70) - un système qui, transposé en France, donnerait à l’alsacien un statut officiel en Alsace, de même que pour le corse en Corse, le basque au Pays basque, etc. Même au Maroc, qui ne passe pas pour un modèle en matière de droits de l’Homme, la loi fondamentale est ainsi rédigée (article 5). "L’arabe demeure la langue officielle de l’Etat […]. De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception. " "Dans la majorité des Etats du monde, une large reconnaissance du plurilinguisme est la règle", résume Philippe Blanchet.

C’est pourquoi le raisonnement du Conseil constitutionnel peut être considéré comme outrageusement centralisateur. En effet, dès lors que tout individu a la capacité d’être bilingue, rien ne permet d’affirmer qu’un peuple doit être nécessairement monolingue, comme le remarque le collectif "Justice pour nos langues". Rien ne permet non plus de penser que le peuple français cesserait d’exister si un groupe en son sein bénéficiait de droits collectifs. Et il faut être un rhétoricien de haut vol pour soutenir que l’égalité consiste à réserver aux seuls francophones la possibilité d’utiliser partout leur langue première – tout en privant de cette même liberté les Alsaciens, les Basques, les Catalans, les Réunionnais et les autres…

Une confusion entre intégration et assimilation

Conclusion ? Il existe chez nous une confusion entre intégration et assimilation. Certes, dans toute société, un certain degré d’intégration est nécessaire. En revanche, celle-ci ne devrait pas être poussée trop loin afin de respecter les droits culturels de chacun. "La protection des minorités vise à ce que l’intégration ne se transforme pas en intégration non désirée", écrit ainsi l’ONU. Tel est pourtant le cas en France où, dans les faits, c’est une politique d’assimilation qui est menée depuis des décennies, au point de menacer la survie de toutes les langues dites régionales de métropole.

Les observations de l’institution internationale au gouvernement français ne doivent cependant pas donner trop d’espoir aux amoureux de la diversité culturelle. Aussi rudes soient-elles, en effet, elles ne changeront rien sur le plan juridique dans la mesure où l’institution ne dispose d’aucun pouvoir de coercition. Symboliquement, en revanche, l’affaire est évidemment fâcheuse pour une nation qui se veut le "pays des droits de l’Homme".


 

Commentaire de Florestan, inspiré par Didier Patte:

Mais le plus fâcheux dans cet atavisme centralisateur, éradicateur, niveleur, du jacobinisme parisien au nom d'un idéal aussi artificiel que déraciné c'est que cette défense acharnée du monopole linguistique français en France a pour conséquence concrète la destruction des racines linguistiques historiques authentiques de la langue française sans pour autant la protéger des attaques de l'anglais de la mondialisation puisque toutes nos soi-disant élites sont en train de démissionner sur la question de défendre la langue française sur les sujets où il y a vraiment urgence à la défendre.

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