Billet de Florestan:
On apprend qu'Emmanuel Macron a reçu François Hollande à l'Elysée ce 3 février 2023 pour évoquer le chantier d'une vaste refonte des institutions de la 5ème République touchant au fonctionnement du parlement, évoquant le retour au septennat présidentiel tout en maintenant le quinquennat parlementaire. L'idée de transformer le Conseil constitutionnel en véritable Cour suprême est aussi dans l'air.
Mais ce qui nous intéresse surtout c'est que Macron serait prêt à retoucher la carte des régions de France issue de la réforme de 2014-2015!
En effet, près de dix ans après la grande réforme régionale de MM. Hollande et Valls menée dans la précipitation et la désinvolture la plus totale pour les réalités géo-historiques régionales dans le but d'échapper à une sanction financière de la Commission européenne, on a tous tiré un bilan de cette révolution de la carte institutionnelle régionale: à l'exception notable de la Normandie dont la réunification était une évidence, on constate que cette réforme brutalement imposée depuis un Au-delà parisien à nos réalités provinciales, ne fonctionne pas bien.
On a cru naïvement que la fusion de régions limitrophes et non pas de départements limitrophes pour ne pas avoir à affronter politiquement la question bretonne avec des barons socialistes alors divisés dans le "Grand Ouest", allait permettre des économies d'échelle par mutualisation et fusions de toutes les administrations doublons. Il n'en a rien été, bien au contraire! Et même dans le cas pourtant si évident de la réunification normande, l'apport incontestablement qualitatif et positif de la fusion entre les deux conseils régionaux normands s'est aussi accompagné de quelques difficultés et de certaines complexités.
Parmi ces grandes "néo-régions", il y en a qui, dix ans plus tard, sont toujours des grands machins qui ne suscitent aucun sentiment d'appartenance car on ne saurait s'identifier à un guichet à subventions ou à une agence aussi lointaine que techno:
Une fois de plus, la gauche idéaliste et rationnelle française toujours aussi jacobine qu'en 1793, n'a toujours rien compris aux réalités provinciales de notre pays!
Et ces grands machins régionaux ont même été capables de réveiller des questions régionales qui n'existaient plus: le cas alsacien étant le plus évident au point que l'avenir du machin "Grand Est" semble des plus incertains. Et celui de l'Arvernorhodalpie, autrement dit, la région "Auvergne-Rhône-Alpes" ne l'est pas moins. L'Occitanie qui ne veut plus se nommer "Languedoc" ou la "Nouvelle Aquitaine" (sic!) que l'on pourrait prendre pour une île de notre outremer de l'hémisphère austral, semblent mieux fonctionner mais dès qu'on s'éloigne un peu des petits Paris de province que sont devenus Toulouse et Bordeaux, un ressentiment local puissant se trouve exacerbé au point de raviver le souvenir provincial qui peut se cacher encore derrière un ou deux départements:
Les grandes "régions" -utilisons des guillemets- ont eu pour conséquence de faire descendre la question politique régionale ou régionaliste à l'échelle de la maille départementale... D'où des projets de fusion savoyarde, de création d'un département du Dauphiné ou du Maine ou encore le retour à une région du Limousin... Sans même parler de l'inexorable et très médiatique question bretonne!
Pour mémoire, nous vous proposons de revoir notre projet de redécoupage de la France en 17 régions respectant la plupart des réalités géo-historiques françaises. Carte que nous avions présentée en mai 2014, avec succès, au président d'alors de l'association des régions de France qui espérait pouvoir co-piloter la réforme avec le gouvernement Valls-Hollande: Alain Rousset avait alors vite déchanté!
Archive de l'Etoile de Normandie (10 juillet 2019)
http://normandie.canalblog.com/archives/2019/10/07/37692271.html
Relire le commentaire de Florestan de l'époque:
LA QUESTION REGIONALE, un sujet méprisé et maltraité...
Jean-Michel Thornary est comptable. Mais il n'est pas géographe. Il a raison de critiquer la réforme de 2015 d'un point de vue comptable. C'est légitime puisque ce monsieur est comptable...
Mais quand va-t-on enfin parler du sujet? Du vrai?
A savoir de la géographie régionale qui est un sujet sérieux avec des gens sérieux qui passent des années de leur vie à étudier ce sujet sérieux dans les laboratoires de recherche en géographie de nos universités?
La bêtise des experts qui se permettent de juger de sujets dont ils ne sont pas experts sous prétexte de maîtriser une expertise qui serait supérieure à toutes les autres est...
INSUPPORTABLE!
Cette réforme régionale de 2015 est une catastrophe comptable car elle procède d'une catastrophe territoriale résultant d'une incompétence, sinon d'une inculture de nos soi-disant élites politico-administratives et médiatiques parisiennes sur la géo-histoire française issue d'une histoire du temps long...
Fernand BRAUDEL!
Réveille-toi!
Ils sont devenus fous!
Lire l'article de Ouest-France:
Septennat, régions… Emmanuel Macron rouvre discrètement le chantier des institutions
L’un des grands chantiers post-réforme des retraites se dessine : Emmanuel Macron a reçu ce vendredi 3 février 2023 François Hollande pour le consulter sur le dossier de la réforme des institutions.
Emmanuel Macron a reçu vendredi son prédécesseur socialiste François Hollande à déjeuner à l’Élysée pour rouvrir discrètement le dossier de la réforme des institutions, présenté par son camp comme l’un des grands chantiers de l’après-réforme des retraites.
Préludes à une « commission transpartisane »
Selon son entourage, le chef de l’État recevra aussi prochainement l’ex-président de droite Nicolas Sarkozy ainsi que les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet.
Ces entretiens sont le prélude à la création d’une commission transpartisane
pour rénover les institutions, promise par Emmanuel Macron avant sa réélection l’an dernier. Son lancement, prévu à l’automne dernier, a pris du retard et aucune date précise n’a été fixée.
Toute révision de la Constitution présentée par l’exécutif doit être adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres du Parlement, et obtenir in fine une majorité des trois cinquièmes des parlementaires, ce qui nécessite de larges compromis transpartisans.
Durant son premier quinquennat, le président avait buté sur le Sénat majoritairement à droite, et échoué à faire aboutir une réforme qui prévoyait une dose de proportionnelle dans le mode d’élection des députés, la réduction du nombre de parlementaires, mais aussi la limitation de leur mandat à trois consécutifs. Emmanuel Macron a donc prévu de changer de méthode avec cette commission transpartisane pour faire émerger des majorités.
Septennat, régions, proportionnelle…
« Il va prendre la température. Il sait à peu près où il faut aller mais il n’a pas envie de se lancer dans des réformes qui n’aboutiront pas dit une source proche de la présidence.
Selon cette source, le chef de l’État réfléchit à une désynchronisation des mandats présidentiel et législatif pour donner une respiration
et veut « repenser le millefeuille territorial pour le simplifier et le rendre plus efficace », en abandonnant le découpage en grandes régions instauré par François Hollande en 2014.
Durant la campagne, outre son soutien à la proportionnelle, Emmanuel Macron avait jugé que le septennat présidentiel serait un bon rythme
, avec des élections législatives « de mi-mandat ». Depuis, il a promis d’ouvrir un « nouveau chapitre de la décentralisation ».
Le chef de son parti Renaissance, Stéphane Séjourné, a par ailleurs remis sur la table, en janvier, la réduction du nombre des parlementaires. Il a aussi plaidé pour un recours facilité au référendum d’initiative partagée, l’éventuelle transformation du Conseil constitutionnel en une vraie Cour suprême
, ou encore l’aménagement du non-cumul des mandats pour permettre aux maires de petites villes d’être aussi député ou sénateur.
Commentaire de Florestan:
Nous allons suivre cette affaire de très près... Afin de nous assurer que l'intégrité territoriale de notre Normandie ne sera pas menacée par les insidieux promoteurs d'un Axe Seine normand fusionné avec la région parisienne.
Si refonte de la carte régionale il y a, la question de la réunification bretonne, la disparition de la région Grand- Est ou celle d'Auvergne-Rhône-Alpes seront inévitablement au programme. Comme sera aussi au programme une violente campagne médiatique contre l'idée régionale qui ne manquera pas d'être menée par les souverainistes qui ne sont toujours pas sortis de la prison mentale du jacobinisme.
Il semble, d'ailleurs, que cette campagne médiatique soit déjà commencée avec cette tribune proposée par Benjamin Morel dans Le Figaro de 3 février 2023:
Les régionalismes breton, corse ou basque qui prospèrent sur une base ethnico-linguistique au risque de verser dans le séparatisme nationalitaire ou dans un jacobinisme régional très paradoxal, sont les meilleurs idiots utiles de la centralisation jacobine...
Benjamin Morel: «L’identité française a été présentée comme mauvaise, impossible à assumer»
ENTRETIEN - Dans son nouveau livre, La France en miettes, l’universitaire décrypte la montée en puissance d’un régionalisme politique qui, selon lui, participe à la déconstruction et à l’archipélisation de l’État-nation, mais aussi, paradoxalement, à l’effacement des cultures locales.
LE FIGARO. - Votre livre tire la sonnette d’alarme quant à la montée des particularismes locaux. La nation française ne se fonde-t-elle pas sur ses petites patries, les langues et les cultures régionales ne devraient-elles pas être défendues légitimement par l’État?
Benjamin MOREL. - Bien sûr qu’elles le devraient! Il ne faut surtout pas mésinterpréter l’objet de ce livre. Il n’est en rien une attaque contre les petites patries. Moi-même Auvergnat, j’aime passionnément la mienne, ses terroirs et ses traditions. On peut endosser plusieurs identités, locale, régionale et nationale, sans que cela s’oppose. Ce que ce livre dénonce, c’est l’instrumentalisation des cultures locales à des fins politiques. Or, les régionalismes politiques s’appuient sur une reconstruction militante de l’Histoire et des cultures à dessein de les rendre antagonistes avec la nation.
En lien avec les fabricants de goodies, le folklore traditionnel qu’ils promeuvent est souvent fabriqué en Chine selon des concepts venus du pays de Galles, d’Italie ou d’Allemagne. L’Histoire est également réécrite de façon téléologique pour en faire un récit univoque et épique de lutte contre la France.
Ainsi on efface les petites patries au nom d’un Disneyland identitaire. La question de la langue est intéressante. On n’a jamais, par exemple, depuis le haut Moyen Âge, parlé breton à Rennes ou à Nantes. On n’y parlait pas non plus le français d’ailleurs, mais le gallo. Or, dans ces villes, c’est essentiellement en breton que l’on impose la signalisation, la culture, l’enseignement… Un breton par ailleurs purgé des apports du français et reconstruit, que ne comprennent pas les locuteurs natifs.
En 2018, le conseil régional accordait 7,5 millions d’euros au breton, 300.000 euros au gallo. Perçue comme trop proche du français, cette langue jugée peu légitime se meurt. Aujourd’hui, on invente même en zone gallo des noms de villes en breton n’ayant jamais existé, justement à dessein d’effacer ces petites patries qui gênent le récit militant. Si ces collectivités et régionalistes accolent le mot «jacobin» à tous leurs contradicteurs, ils ont, en réalité, un réflexe très centralisateur. D’abord, la collectivité doit être unique ; il faut donc une seule collectivité alsacienne, une Assemblée unique de Bretagne, une Assemblée de Corse… Ensuite, il faut que la culture soit unifiée, de même que la langue.
Paradoxalement, vous expliquez que l’ethno-régionalisme est un phénomène porté par des urbains en quête de racines et qui s’impose contre ceux qui parlent et vivent réellement les langues et les cultures locales…
En effet, si les identités locales sont écrasées par ce Disneyland militant, c’est parce que ceux qui les vivent, de moins en moins nombreux, n’ont que rarement voix au chapitre. Les militants régionalistes sont souvent des jeunes urbains qui ont eu accès à ces cultures uniquement par l’enseignement immersif ou dans un réseau politico-associatif. Ils disposent de l’organisation, des contacts et des codes pour imposer leur vision de la culture locale. Ce qui fait qu’une pratique culturelle ou une version de la langue est enseignée et soutenue, c’est que l’État ou a minima les grandes collectivités la reconnaissent comme légitime à financer. Or, pour ce faire, il faut disposer des mêmes codes sociaux que ces élites administratives et culturelles. Ces mouvements ont ainsi confisqué la culture locale à ceux qui la vivaient et qui voient leurs petites patries, les vraies, disparaître.
Commentaire de Florestan: voilà une vision quelque peu caricaturale de la mouvance régionaliste qui semble plus rendre compte du cas breton que du cas normand. Dans le Cotentin ou le Pays de Caux la culture authentiquement normande est restée encore vivante grâce à un puissant réseau associatif local mêlant les générations: pour preuve, la langue normande chimiquement pure importée d'ailleurs n'a jamais pris en Normandie qui est la région des petites patries... Justement!
D’ailleurs, à vous lire, les ethno-régionalistes auraient mal lu Maurras!
Le maurrassisme a été le creuset de la plupart de ces courants qui, par opportunisme, sont majoritairement passés à gauche après-guerre. On retrouve toutefois un fort héritage idéologique. Il n’en reste pas moins que Maurras est beaucoup plus nuancé qu’on ne le pense. S’il se veut le défenseur du «pays réel» contre le «pays légal» grâce aux identités régionales, il y met deux réserves. D’abord, il pense que la promotion de ces identités induirait forcément l’effondrement du pays à défaut de la force unificatrice d’un roi. Maurras est d’abord décentralisateur et, consécutivement, monarchiste. Ensuite, cette promotion culturelle n’est envisageable pour Maurras que pour les cultures d’un même tronc commun «gallo-roman». Cela exclut pour lui la Basse-Bretagne, les Flandres, le Pays basque et l’Alsace. Maurras est ainsi une référence ambivalente pour les régionalistes, car il vise à revivifier le nationalisme par les régions, alors qu’eux en souhaitent l’implosion.
Commentaire de Florestan: l'histoire politique du régionalisme français est toujours aussi mal connue! C'est consternant... Il n'y a pas que Charles Maurras! Joseph Paul-Boncour ou Jean-Charles Brun, par exemple... ça vous parle Monsieur Morel?
Archive de l'Etoile de Normandie (3 mars 2015):
http://normandie.canalblog.com/archives/2015/03/03/31636651.html
Comment expliquez-vous le regard bienveillant des élites sur les identitarismes locaux alors qu’elles n’ont cessé pendant des années de se méfier du sentiment national?
C’est justement parce qu’elle a pris en grippe la nation qu’une partie des élites a communié dans l’idée que les régions étaient des colonies sous la férule d’une France ontologiquement coupable et oppressive. Quand les ethno-régionalistes dénoncent un «ethnocide» parce qu’on ne parle pas breton à Nantes, elles applaudissent à tout rompre. Par ailleurs, nos élites parisiennes apprécient ces sujets à travers les versions formatées pour elles par les idéologues régionalistes qui ont su s’imposer dans les relais culturels, économiques et universitaires.
Commentaire de Florestan: au regard de l'authentique "populicide" (G. Babeuf, 1797) que fut la répression de la révolte des Vendéens par Robespierre entre l'automne 1793 et le printemps 1794, certaines revendications régionalistes actuelles sont outrancières sinon indécentes!
Par exemple, il a été décrété par les régionalistes et le secteur touristique que le Pays basque était historiquement une région très féministe, car les maris y prenaient le nom de leur femme… D’abord, c’est faux, les maris prenaient le nom de la maison de leur femme quand elle héritait. Ensuite, ce système était commun à tout le sud de la Garonne. Seulement voilà, le mythe plaît à Paris et permet de vanter l’ouverture du Pays basque à rebours de l’obscurantisme français. On ignore en revanche qu’Arana, le fondateur du nationalisme basque, créateur du drapeau qui flotte sur Bilbao et Biarritz, décourageait les mariages entre Basques et non-Basques pour préserver la pureté de la race. C’est pourtant sous sa bannière que l’on discute intersectionnalité des luttes entre domination masculine et jacobinisme ethnocide…
Commentaire de Florestan: on ne pourra que donner raison à Benjamin Morel sur cette instrumentalisation idéologique de ce particularisme juridique basque. Mais on lui rappelera aussi que la torture était interdite dans la procédure inquisitoriale de droit normand dès le XIe siècle. C'est rappelé dans la "charte aux Normands" de 1315.
N’exagérez-vous pas cependant la menace régionaliste? La France semble loin du sécessionnisme que peut connaître le Royaume-Uni, l’Espagne ou même l’Italie…
Bien au contraire, deux cents ans de centralisation ne nous ont pas immunisés, mais désensibilisés. Si l’on regarde les analyses statistiques, on constate que les phénomènes qui se sont produits chez nos voisins espagnol ou britannique se manifestent chez nous avec un retard de quelques décennies. Mais plutôt que de nous instruire, nous nous gargarisons de notre exceptionnalité et commettons exactement les mêmes erreurs. La Corse est la région européenne où le total des scores des partis régionalistes est le plus élevé, loin devant la Catalogne, la Flandre ou l’Écosse. En 2021, ils réunirent 57,70% des voix aux régionales, et jusqu’à 67,98% au second tour. En 2010, les listes nationalistes n’avaient obtenu que 27,76% au premier tour et 35,74% au second.
Le taux de Bretons se déclarant Bretons avant d’être Français est passé de 19,2% en 1990 à 30,7% en 2000 et à 38% en 2019. De même, après la Dévolution, le taux d’Écossais se considérant Écossais, mais pas Britanniques, grimpe de 19,2% en 1992 à 31,5% en 1997 puis à 36,9% en 2000. La Bretagne a donc seulement vingt ans de retard sur l’Écosse. Si les partis régionalistes ne montent pas dans les scrutins, c’est souvent uniquement parce que leur programme est pillé. Celui du PS ou de LR en Bretagne est aujourd’hui à peu près aligné sur celui de l’Union démocratique bretonne des années 1980. Ils ont, il y a un an, voté ensemble une résolution demandant l’autonomie… prenant comme modèle les nationalistes corses.
Commentaire de Florestan: la gauche progressiste n'est pas prête de piller le programme du régionalisme normand!
L’État joue, par ailleurs, aujourd’hui un jeu très dangereux en mettant en avant ce que l’on appelle la différenciation territoriale. On promet un statut ad hoc à des régions au regard de leur identité entraînant à la fois un jeu de mimétisme et de surenchère. C’est exactement ce qui a conduit à la crise au Royaume-Uni. Les Gallois frustrés de ne pas être aussi reconnus que les Écossais ont obtenu un statut similaire, ce qui a conduit les Écossais à demander un nouveau statut pour ne pas être traités comme les Gallois. En France, la Nouvelle-Calédonie rêve d’indépendance, la Corse de la Nouvelle-Calédonie, l’Alsace du statut de la Corse et les candidats bretons aux dernières régionales faisaient des voyages d’études à Strasbourg… À chaque fois que l’on cède à l’un, on avance la machine d’un cran.
Commentaire de Florestan: le principe de subsidiarité permettrait de tenir compte de la variété des réalités. Entre la course au détricotage de l'unité nationale menée par des régionalistes nationalitaires ou séparatistes, d'une part, et le congélateur unitaire jacobin, d'autre part, il existe un juste milieu, celui d'un régionalisme modéré, lucide et pragmatique: c'est le régionalisme normand.
Le séparatisme islamiste est tout de même bien plus conquérant et violent que le séparatisme breton et même corse?
Ce sont en effet deux phénomènes différents, le fanatisme religieux est notamment absent dans le régionalisme contemporain, par ailleurs, on y construit plus une contre-identité qu’une contre-société. En revanche, il y a un point commun majeur. C’est par le clientélisme électoral que ces séparatismes gagnent en influence dans la sphère publique. C’est d’autant plus vrai que, par ignorance et désintérêt, on tend à laisser passer des choses que l’on ne laisserait pas passer dans nos banlieues. Les élus sont donc encouragés à donner des gages à un milieu militant influent et très actif.
Deux exemples, mais ils sont légion dans le livre. Les élus bretons ont adopté un hymne, le Bro gozh ma zadoù, écrit par François Jaffrennou, condamné à la Libération et auteur d’articles violemment antisémites dans la presse collaborationniste bretonne… aucun problème. À l’université de Corte, on s’instruit dans un amphithéâtre Acquaviva, nommé en l’honneur d’un plastiqueur du FLNC… aucun problème. Et puis, souvenons-nous qu’il y a un an, la collectivité de Corse mettait ses drapeaux en berne en hommage à Yvan Colonna, dont le seul fait de gloire est d’avoir tiré dans le dos d’un préfet de la République. À quel moment nous sommes-nous perdus au point de tolérer cela?
Commentaire de Florestan: le régionalisme normand n'a pas de sang sur les mains.
Selon vous, l’ethno-régionalisme contribue à la déconstruction de l’État-nation. N’est-ce pas plutôt un symptôme de cette déconstruction? On pourrait ainsi voir la montée de certains séparatismes régionaux comme une réaction devant la perte de souveraineté, d’identité et d’autorité de l’État-nation, une manière de se réfugier dans une identité de substitution?
C’est tout à fait vrai. Il s’agit d’un communautarisme comme les autres. Il n’est souvent pas le fait de personnes qui ont grandi dans cette identité, mais d’individus qui cherchent à s’en construire une dans un monde en perte de repères. Ce sont ces identités liquides, faites de simulacres, que décrivait si bien Zygmunt Bauman. Cela explique le fait que la culture Disneyland et la langue reconstruite qu’ils acquièrent sans considération pour les vraies traditions locales leur suffisent. L’ethno-régionalisme n’a rien à voir avec le vieil holisme, il est postmoderne. La crise de l’État-nation le nourrit, car l’identité française a été présentée comme mauvaise, impossible à assumer. Il est donc une façon d’exister contre elle tout en s’inscrivant dans une identité et un combat.
Commentaire de Florestan: l'identité normande est un existentialisme qui s'enracine dans l'héritage et le patrimoine de la plus française des provinces. Il ne serait y avoir de contradiction fondamentale entre être Français et être Normand à moins de rêver de la Normandie anglaise de la Guerre de Cent ans en oubliant que les paysans cauchois s'étaient révoltés parcequ'ils étaient Français. En revanche, de 1066 à 1204, c'était l'Angleterre qui était devenue normande et angevine...
À vous lire, on comprend que l’Union européenne a sa part de responsabilité dans les fractures nationales. Pourquoi? L’Europe est-il un continent en voie de morcellement?
Le Vieux Continent avec 6% de la population, comprend 40% des mouvements ethno-régionalistes dans le monde. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont joué un rôle délétère par des normes et des politiques qui ont encouragé ce phénomène. Aujourd’hui, après les crises écossaise et catalane, qui ont mis Bruxelles en porte-à-faux avec certains États membres, l’Union est pour sa part plus timorée. Toutefois, les plus importants partis régionalistes français sont membres d’un regroupement nommé «Régions et peuples solidaires» qui prône l’Europe des régions. Le groupe européen qui y est lié, l’Alliance libre européenne, a même proposé un redécoupage ethnolinguistique de l’Europe faisant disparaître les États. Dans leurs rêves merveilleux, la France serait donc réduite aux anciens pays de langues d’oïl dans une fédération des peuples d’Europe.
Commentaire de Florestan: ce cadre européen régionaliste est aussi délétère pour nos provinces françaises historiques que pour l'unité nationale de notre pays puisqu'il permet d'envisager des néo-régions artificielles cherchant à atteindre une soi-disant "taille européenne" qui n'existe pas!
Lire les commentaires laissés par les lecteurs du Figaro:
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Elise33 le 03/02/2023 Sujet intéressant mais ce nouveau régionalisme politique qui augmenterait laisse sceptique. Bien sur les Bretons sont fiers de leurs culture, comme les Basques, les Alsaciens, mais la déconstruction de l'Etat nation ? Il est à noter quand même qu'il y a émergence d'un retour aux sources pour les langues, j'ai fait une visite d'un quartier de Bordeaux en Gascon, langue plutôt difficile à comprendre avec un guide très motivé par cet apprentissage. J'ai remarqué aussi qu' en Occitan, près de Montpellier de jeunes couples apprennent l'Occitan à leurs enfants, une envie de retourner aux sources ou un sentiment de dépossession de leurs cultures ?
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Juvénal 03/02/2023 Que les mouvements régionalistes soient en grande partie artificiels est sans doute vrai mais la démonstration me paraît pourtant n'avoir aucune valeur. La modernité se caractérise par la volonté de changer les choses sans tenir compte du passé ni de rien d'autre à part l'intérêt voire le désir immédiat. Si une partie des Français se détournent de la nation, c'est sans doute qu'elle a failli et quoi qu'il en soit, c'est leur droit. Elle n'a rien de sacré surtout dans un monde où le sacré a été rejeté. Ce n'est pas ce que je crois mais c'est le raisonnement suivi pour justifier la transformation libérale de la société française. Il y a l'exemple d'Israël où l'hébreu a été réintroduit par pur volontarisme sans rapport avec la situation linguistique du pays, je ne vois pas pourquoi les Bretons ne pourrait pas en faire autant avec leur langue.
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Mdes le 03/02/2023 C’est tout à fait vrai , on le voit pour la Corse où on essaie d’imposer une langue corse construite qui n’est pas compréhensible pour ceux dont les familles parlaient cette langue orale .
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FELIPE 03/02/2023 A "L’Europe est-il un continent en voie de morcellement?", il faudrait écrire "L’Europe est-elle un continent en voie de morcellement?" Ceci dit j'adhère totalement aux propos de l'auteur. Plus on cherche à nous mouler dans la même matrice, moins les gens se reconnaissent et plus ils cherchent à coller à leurs racines. Encore un sujet qui montre que nos politiciens nous font beaucoup de mal !!!
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Anonyme 81468 le 03/02/2023 (Ndlr: l'un de nos fidèles lecteurs...)
Il y a aussi le régionalisme normand, non séparatiste et en français, moins visible parce que non violent mais perceptible sur le blog "sire de sei" (maître de soi, en langue normande du Cotentin), formule parfois utilisée par Michel Onfray. La puissance de la France s'est constituée par l'agrégation des provinces autour du pouvoir royal mais avec des contre pouvoirs particuliers à chacune. Depuis la Révolution la centralisation a aussi été niveleuse et la France a perdu le bénéfice des richesses locales contributives d'une puissance aujourd'hui en déclin. L'identité est géographiquement gigogne; supprimer le maillon régional serait comme enlever d'une échelle le barreau qui permet d'accéder à la nation.
Le sentiment d'appartenance est très loin de ses préoccupations, à part l'appartenance à l'Europe et au nouveau monde, celui se fondant sur et dans le modèle états-unien.
Les us et coutumes, les langues, la culture, le patrimoine bref, tout ce qui a fait la France telle qu'elle est doit disparaitre.