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Sire de Sei, la Normandie en toute liberté!
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Sire de Sei, la Normandie en toute liberté!
25 janvier 2023

ROUEN en 1200: Lire en intégralité le texte de la conférence publique donnée au séminaire "Normandie" de l'UP Caen.

Avis à nos lecteurs:

Nous vous proposons de lire ci-après le texte intégral de la conférence publique que nous avons donnée le 24 janvier 2022 dans le cadre du séminaire "Normandie" de l'Université populaire de Caen, un séminaire consacré, cette année, aux réalités passées présentes et avenir de notre Normandie maritime...

ROUEN en 1200, une capitale maritime, commerciale et financière européenne

Conférence inaugurale du séminaire « Normandie » de l’UP Caen (16ème année)

Mardi 24 janvier 2023 (18 -20h00), auditorium du Musée des beaux-arts du château ducal de Caen, entrée libre et gratuite.

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INTRODUCTION :

Rouen c’est une ville avec un port. Depuis plus de 2000 ans.

En 2023, Rouen est avec Hambourg le dernier grand port maritime de fond d’estuaire encore pleinement actif en Europe. Le port est aujourd’hui accessible à des vraquiers de 30 000 à 40 000 tonnes de port en lourd (tpl) ou encore de porte-conteneurs de 2 000 à 2 500 EVP qui remontent un chenal dragué de plus de 120 km permettant le passage de navires ayant plus de 10 mètres de tirant d’eau à la marée montante. Depuis juin 2021, le GPM de Rouen a été fusionné avec le GPM du Havre et les ports fluviaux de la Seine dans une autorité portuaire unique « HAROPA ». Rouen reste parmi les trois premiers ports d’Europe pour l’exportation mondiale de céréales. Rouen est le siège du groupe « Sénalia », leader français de la logistique des céréales avec 60 % du marché. Rouen fut aussi, à l’orée de la Première guerre mondiale, le 1er port français pour l’importation des pétroles. En 1930, le port de Rouen était le 1er port français, tous trafics confondus. L’industrie chimique française est née à Rouen, sur la rive gauche, à Saint-Sever avec l’installation d’une usine de fabrication de vitriol fondée par un ingénieur écossais sous Louis XV. C’est à Rouen aussi que fut créée la première chambre de commerce et d’industrie de France, toujours sous Louis XV, avec pour projet de sécuriser la navigation dans l’estuaire de la Seine (chenal, phares et balises) mais aussi le projet d’un pont franchissant la Seine sans gêner la navigation sur le fleuve. Jusqu’en 1880, la cathédrale de Rouen détenait avec les 157 mètres de la flèche en fonte de sa tour lanterne centrale, le record du plus haut bâtiment du Monde. De 1941 à 1945 : le port et la ville de Rouen furent anéantis par les terribles bombardements de la Seconde guerre mondiale. Le port fut reconstruit et totalement modernisé avec l’idée de simplifier la rupture de charge entre le transport maritime et le transport fluvial sur la Seine : les quais et les ponts furent surélevés, le front urbain de Seine, rive droite, qui était comparable à celui de Bordeaux, fut médiocrement reconstruit en béton. En conséquence, le reste de la ville se retrouve coupée de son fleuve. En 1979, le trafic a dépassé les 20 millions de tonnes annuels. Mais il faut, hélas, dire que Rouen c’est aussi la plus grande dégringolade dans la hiérarchie urbaine de France depuis 800 ans : Rouen qui, aujourd’hui, hésite malgré la divine surprise de la réunification de la Normandie, devant la perspective d’être définitivement intégrée au Grand Paris comme une banlieue industrialo-portuaire et qui était encore sous Louis XV la seconde ville de France, était probablement la première vers 1200 au début du règne de Philippe II roi de France dit « Philippe Auguste ». Mais Rouen, à cet apogée de son histoire millénaire, n’était plus vraiment en France en étant, de fait, la capitale maritime, commerciale, financière et institutionnelle d’un vaste ensemble territoriale de dimension européenne allant des Pyrénées à l’Ecosse : l’espace « Plantagenêt » (qu’il ne faut surtout pas appeler « empire ») tout droit sorti d’un siècle qui fut en Europe, le siècle des Normands.

 

1) Rouen grand carrefour commercial maritime, fluvial et terrestre depuis 2000 ans

  • Arrêtons de croire qu’après l’effondrement de l’empire romain d’Occident tout commerce au long cours qu’il soit terrestre ou maritime se soit arrêté avec une rétraction de l’économie sur la seule sphère locale. Dès que les routes étaient à nouveau ouvertes et que les carrefours et places étaient sécurisés, ce grand commerce reprenait. Mais au Moyen-âge, le grand commerce maritime fonctionnait avec des principes à l’inverse des nôtres : aujourd’hui on n’hésite pas à faire faire 10000km à un pot de yaourt ! Au Moyen-âge, la longueur et les risques du transport sont justifiés par la rareté de la marchandise transportée. On a retrouvé récemment du lapis- lazuli de provenance afghane dans les lettrines ornées des manuscrits du Mont- Saint- Michel datant du Xe siècle. Les grenats ornant les émaux cloisonnés des reliquaires carolingiens venaient de Ceylan. Une Bible complète manuscrite et ornée sur parchemin nécessitait pour ses 400 feuillets brochés quelques deux cents peaux de moutons : fallait-il vraiment tuer tout un troupeau pour faire une Bible ? Evidemment non ! Ces peaux déjà tannées et travaillées arrivaient dans les scriptoria des monastères par voie commerciale et achetées dans les grandes foires.

  • Réouverture des routes et carrefours commerciaux de la Méditerranée vers « les échelles du Levant » par les Normands au XIIe siècle : l’espace byzantin est sécurisé face à l’Islam par des mercenaires Normands qui sont alors les grands professionnels des affaires militaires avec la maîtrise de la cavalerie, l’art de mettre le siège, de construire forteresses et châteaux et une fois les pays conquis et sécurisés, l’art d’administrer. Exemple de l’Italie du Sud et de la Sicile puis des royaumes latins d’Orient créés après la première croisade.

  • Antiquité florissante du commerce dans la Basse Seine :

Le géographe grec Strabon en parlait déjà ( 50 av. J-C): « Depuis la  Saône jusqu'à la Seine, on voiture les marchandises par terre. C’est en descendant cette rivière qu’on les transporte dans le pays des Lexoviens et des Calètes, et de là, par l’océan, en moins d’un jour, dans la Bretagne. [...] Une des plus belles voies de commerce formées par la nature »

Un argument qui sert toujours du côté de Rouen ou du Havre pour justifier l’inutilité de creuser un « canal Seine-Nord » dans les terres à betteraves picardes puisque cette voie existe déjà…

  • Le moment mérovingien et carolingien est plutôt méconnu : l’archéologue rouennais Jacques Le Maho a documenté une renaissance spectaculaire du commerce maritime de la Basse-Seine aux VI -VIIème siècles jusqu’à l’époque carolingienne ; un commerce maritime florissant contrôlé par des grands monastères ayant chacun leur flottille. Lillebonne, Saint-Wandrille-Rançon, Jumièges avaient leurs flottes de navire avec leurs ports sur la Seine permettant des relations privilégiées avec l’île britannique (commerce de l’étain) et tout le Nord de l’Europe : les Vikings s’en souviendront quand ils feront, à partir des années 830, un peu de tourisme dans notre région.

  • Rouen, une capitale administrative depuis 1500 ans et la création en 297 ap. JC du territoire de la Seconde lyonnaise par l’empereur Dioclétien : au IVe siècle avec la christianisation, la 2ème Lyonnaise devient la province ecclésiastique de Rouen qui existe toujours pour les diocèses de Rouen, Evreux, Lisieux, Bayeux, Sées, Avranches et Coutances et qui sera le creuset du futur duché de Normandie à partir des années 890- 911. Avec l’insécurité devenue permanente à partir des années 850 en raison d’incessants raids vikings contre la Neustrie, le clergé des diocèses d’Avranches, de Coutances, diocèses officiellement placés sous la protection bretonne, se réfugient à Rouen dont la population s’accroît considérablement : Rouen est devenu un camp de réfugiés placés sous les bons soin de l’archevêque qui cumule fonctions religieuses et fonctions publiques (« missaticum »).

  • La situation géographique de la place commerciale et portuaire de Rouen : à partir d’un large méandre moins encaissé que les autres, au plus court sur les routes terrestres entre le Nord et l’Ouest, Rouen est un carrefour obligé pour passer la Seine entre Lyonnaise et Belgique, puis entre Neustrie (territoire entre Seine et Loire) et l’Austrasie ; entre Basse et Haute Normandie (plus proche de Paris) ; entre la Flandre au Nord et l’Aquitaine et l’Espagne au Sud : c’est l’axe « Plantagenêt » Rouen- Le Mans/ Orléans- Tours- Poitiers -Bordeaux qui fera la fortune de Rouen dans la seconde moitié du XIIème siècle. Un carrefour et un pont posés sur un port ayant une double identité : maritime en aval, fluviale en amont. Précisons : maritime et normand en aval. Fluvial et parisien en amont puisque l’influence normande remonte le fleuve portée par la marée montante le plus loin possible vers l’amont. Symboliquement, la marée montante normande a atteint cinq fois Paris  845, 856, 857, 866, et 876 : le pire ce fut le fameux siège des années 885-887. Le Pont-de-l’Arche autrefois fut construit par le roi de France occidentale Charles Le Chauve pour stopper cette remontée du fleuve par les Normands. On leur donna le comté de Rouen pour faire un bouchon normand contre l’arrivée d’autres Normands : ce fut assez efficace ! Trop peut-être si l’on se place du point de vue de l’amont parisien. Aujourd’hui l’influence maritime dans la Seine est bloquée au barrage de Poses. Derrière la métaphore se cache une réalité géopolitique toujours actuelle : qui contrôle le commerce fluvial et maritime sur la Seine contrôle tout. Il fut un temps où les marchands de l’eau de Rouen contrôlaient tout : le commerce maritime lointain, la remontée des navires dans la Seine et les divers déchargements d’une rive à l’autre puis le grand transbordement sur les quais de Rouen avec la prise de relais entre la flotte du grand large et la batellerie fluviale qui remontait le fleuve jusqu’à Paris où le contact se faisait pour redescendre le fleuve vers Rouen et la mer à destination des marchés de l’Île de Bretagne, du Nord de l’Europe ou de l’Espagne avec toutes les marchandises d’Europe arrivant aux foires de Champagne : l’Axe Seine, à cette époque, allait de Rouen à Provins.

On le sait aujourd’hui, le rapport de force s’est inversé sur le fleuve depuis le retour de la Normandie dans le giron du domaine royal français sous l’étroit contrôle parisien : Sous Philippe IV le Bel, probablement le plus jacobin de nos rois de France avant Robespierre, la bataille des marchands de l’eau a été perdu par les Rouennais : désormais les marchands parisiens prendront de plus en plus l’habitude de descendre le fleuve en aval, jusqu’à la mer comme c’est le cas aujourd’hui avec la super administration fusionnelle étatisée d’HAROPA : c’est ignorer qu’un port ne fonctionne bien que s’il est piloté par ceux qui s’en servent et qu’un port se doit de contrôler son hinterland et non l’inverse.

  • Rouen, une ville cosmopolite : Jacques Sylvain Klein dans un livre remarquable consacré aux vestiges de la « Maison sublime » ultime témoin du « royaume juif de Rouen » des origines jusqu’à sa suppression en 1306 par Philippe IV le Bel qui expulse alors les Juifs de France, reprend les thèses d’un historien médiéviste américain, le bien nommé Norman Golb, pour expliquer le mystère de ces ruines retrouvées dans le sous-sol du palais de Justice de Rouen, ancien parlement de Normandie. Ce bâtiment quadrangulaire datant du début du XIIe siècle est tout ce qui reste d’une ancienne Yechiva, celle de la très célèbre académie talmudique du royaume juif de Rouen. Selon Norman Golb, ces vestiges archéologiques sont les plus anciens témoignages du judaïsme européen. La communauté juive de Rouen était donc très anciennement établie et assez nombreuse : le quartier juif de Rouen était étendu et en position centrale dans la ville, situé au Nord, entre la cathédrale à l’Est et l’actuelle place du Vieux marché à l’Ouest. Dans les années 1180 -1200, il y avait probablement 6000 à 7000 juifs à Rouen sur une population totale de 30000 personnes. Les juifs ont fait l’objet d’une protection régulière de la part des ducs de Normandie, notamment celle de Guillaume le Conquérant qui favorisa la diffusion du judaïsme en Angleterre à partir de la base rouennaise. Cette clémence politique des ducs de Normandie et roi d’Angleterre sera poursuivie jusqu’à la fin de l’aventure anglo-normande en 1204, à l’exception de l’année 1096, hélas, où un pogrom fut autorisé à Rouen à l’occasion du départ de la Première croisade : après cet événement dramatique, les bâtiments publics de la communauté juive rouennaise ont été reconstruits, ce dont témoignent les vestiges que l’on peut encore voir aujourd’hui.

 

2) Rouen capitale, de fait, de l’espace des Plantagenêts : l’oeuvre de Mathilde l’Emperesse (1102- 1167)

 

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Miniature de la deuxième moitié du XIVe siècle dans le Liber benefactorum de l'abbaye de St Albans (British Library MS Cotton Nero D VII, fo 7)

Mathilde l’Emperesse, voilà un personnage féminin de notre histoire anglo-normande dont il faudrait réévaluer de toute urgence l’importance entre Mathilde de Flandre et Aliénor d’Aquitaine. Avant que ne s'affirme, pour le meilleur et le pire, l'unité et la force nationale de la France et de l'Angleterre de part et d'autre de leur canal maritime commun, il y eut, de 1066 à 1204, l'exceptionnel moment civilisationnel anglo-normand qui, par les hasards des constructions féodales et dynastiques, a placé la ville de Rouen, l'antique capitale de la Seconde Lyonnaise devenue la métropole de la province ecclésiastique du même nom, cadre du développement du puissant duché de Normandie à partir de 911, à l'apogée de sa longue histoire…

 

Le choix du Destin.

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Après le naufrage de la Blanche nef au large de Barfleur en 1120 où se noya Guillaume Adelin l'unique héritier mâle du duc-roi Henri 1er Beauclerc de Normandie et d'Angleterre, le dernier des fils du Conquérant, avec la fine fleur de la haute aristocratie normande d'une cour ducale et royale en partance pour l'Angleterre, Mathilde, la petite fille du Conquérant revenue de son aventure allemande sans lendemain chargée du prestige du titre impérial, se retrouva en première ligne pour assurer la suite de la grandiose aventure anglo-normande qui va, finalement, se déployer, des Pyrénées à l'Ecosse, suite au remariage de Mathilde dite "l'Emperesse" avec Geoffroy d'Anjou le Plantagenêt, cette famille qui nous laissera ses léopards jusqu'à aujourd'hui sur les armes de Normandie et d'Angleterre. 

On sait que cette grande affaire familiale, féodale, dynastique aux conséquences territoriales extraordinaires s'est faite dans la douleur d'une guerre civile de plusieurs années en Angleterre opposant Mathilde à son cousin Etienne de Blois qui avaient ceint la couronne sous prétexte que les esprits n'étaient pas encore prêts comme ils le seront plus tard à accepter le principe d'un souverain au féminin: notre normande Mathilde a failli être, en effet, la première reine de l'histoire anglaise mais le sort des armes l'a reléguée au rôle de régente de son fils Henri qui deviendra le plus grand souverain d'Occident par son mariage d'amour et de raison avec la magnifique Aliénor d'Aquitaine.

Dans cette seconde moitié du XIIe siècle, Rouen et la Normandie connurent une grande prospérité et elles le doivent, en partie par la remarquable régence de Mathilde l'Emperesse dont il faut absolument réévaluer le rôle dans l'histoire anglo-normande entre les deux grands couples fondateurs et moteurs de cette aventure: Guillaume et Mathilde au début et Henri et Aliénor à la fin...

Dans ces années 1150-1200, Rouen devient vraiment une grande ville: avec près de 30000 habitants, elle est peut-être même aussi peuplée que Paris ou Londres alors.

Rouen est, même, la véritable capitale financière et économique de l'immense ensemble territorial anglo-normand qui se déploie, désormais, de Bordeaux à Londres et qui permet aux marchands Rouennais de d'installer leurs succursales partout.

Rouen devient donc une plaque tournante du commerce maritime et de la finance en Europe en organisant toutes les liaisons comme débouché maritime d'un monde français et capétien contrôlant les foires de Champagne et les routes terrestres du Sud et de l'Est qui y convergent et comme point d'arrivée majeur du commerce maritime du Nord de l'Europe organisé par les villes de la Hanse.

grand commerce européen au XIIe siècle

A l'époque, comme dit plus haut, près de 20% de la population de Rouen est d'origine juive et un puissant patriciat commercial et financier mêlant juifs, juifs convertis ou chrétiens émerge localement au point que la ville de Rouen fut l'une des toutes premières de l'Occident à accéder au statut de commune autonome en 1170, trente ans avant la fameuse City de Londres. Les marchands de la guilde de Rouen avaient même la propriété du port anglais de Dunegate, près de Douvres à partir duquel ils faisaient entrer les vins de Bourgogne en franchise sur le marché anglais...

Cette histoire nous démontre une évidence que nos soi-disant élites d'aujourd'hui peinent à comprendre:

Si la vallée de la Seine normande avait pu être autour de 1200 l'une des principales places commerciales et portuaires de l'Europe occidentale c'est parce que les activités logistiques, commerciales et financières y étaient décidées, planifiées organisées depuis son pôle local principal, à savoir la ville et le port de Rouen suivant le principe évident, qui fait encore aujourd'hui toute la réussite et la puissance de villes comme Anvers, Rotterdam ou Hambourg, qu'un port de commerce et toutes les activités afférentes n'ait jamais aussi mieux géré et tenu que par ceux qui en ont, concrètement, l'usage...

 

3) Rouen en 1200 : une ville aussi grande que Londres ou Paris qui contrôle le fleuve de Paris et le port de Londres.

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Extrayons de l’excellent livre de Jacques-Sylvain KLEIN "Le royaume juif de Rouen ressuscité", pp.157-162 cet aperçu de la ville de Rouen à l’apogée de sa longue histoire:

"A son apogée, vers 1180-1200, la zone densément urbanisée dépasse 100 hectares pour une population comprise entre 25000 et 30000 habitants. En surface comme en population, Rouen dépasse Paris et Londres. (...) Rouen était la plus grande cité du nord de la France et, jusqu'au règne de Philippe Auguste, plus grande que Paris. Les routes du commerce maritime étaient vitales pour sa richesse. 

"C'est l'urbanisme pratiqué par Henri II (1154-1189) sans équivalent dans les grandes villes de l'empire des Plantagenêts qui va donner à Rouen tous les traits d'une capitale. Il y transfère les sièges de l'Echiquier et du Trésor que Guillaume le Conquérant avait localisés à Caen. Il fait paver les rues en suivant l'exemple donné à Paris par Philippe Auguste. Il fait construire une nouvelle enceinte, élargissant le territoire de la ville. Et surtout, il augmente très substantiellement les donations aux établissements ecclésiastiques et monastiques de la ville. Parallèlement, la prospérité des milieux d'affaires entraîne la construction de nouvelles habitations en pierre.

La cité prend aussi pied sur la rive gauche vers Saint-Sever grâce à la "construction par Mathilde l'Emperesse d'un pont de pierre long de 300 mètres."

"La politique urbaine d'Henri II se poursuit sous Richard 1er Coeur de Lion (1189-1199), le plus normand des rois angevins- qui marque son attachement à la ville en faisant inhumer son coeur dans la cathédrale- et par Jean Sans Terre (1199-1204) qui aide à reconstruire la cathédrale après son incendie de 1200. La construction , en amont de Rouen de Château-Gaillard et tout un système fortifié le long de la Seine pour protéger Rouen des attaques du roi de France fait dire à l'historien John Gillingham qu'il faut alors parler de "région-capitale" et non plus de "ville-capitale" (sic!)

Voilà qui en laissera plus d'un songeur sur le mode... grandeur et décadence de cette bonne ville de Rouen de 1200 à... 2022!

"Rappelons en outre que l'archevêque de Rouen est primat de Normandie et que Rouen dispose depuis l'édit de Pîtres de 864 du droit de battre monnaie privilège dévolu à dix villes seulement.

"A partir d'une étude de l'ordonnance sur les moulins de 1199 et des signataires de la capitulation de Rouen en 1204 l'historienne Manon Six dégage une trentaine de personnages constituant l'élite patricienne de la ville. Parmi les noms qui reviennent le plus souvent, on trouve les Du Chastel, Du Donjon, Val-Richer, Malpalu, Grogniet... Mais aussi une femme, Emma dite la "Vicomtesse de Rouen" femme d'affaires très active en Normandie aussi bien qu'en Angleterre ou à Paris. L'augmentation du nombre de bienfaiteurs des abbayes normandes au début du XIIIe siècle apparaît révélateurs de l'importance croissante de cette nouvelle classe marchande.

"Alors qu'à Paris, le commerce de l'argent reste entre les mains des Juifs, Rouen compte d'importants financiers chrétiens qui sont chargés d'effectuer les opérations de change entre la Normandie et l'Angleterre. L'interdiction réitérée par le IVème concile de Latran en 1215 de pratiquer le prêt à intérêt ne semble pas avoir freiné leurs ardeurs.

"L'agrandissement en 1192 de la halle des marchands vient symboliser l'ascension de cette bourgeoisie marchande qui commence d'ailleurs à faire de l'ombre à l'Eglise. C'est peut-être ce qui incite l'archevêque en 1140 à flanquer la façade de la cathédral d'une très haute tour, construite dans l'axe de la rue du Gros-Horloge. Cette nouvelle et majestueuse tour Saint-Romain vient contrebalancer le pouvoir croissant des marchands, en donnant plus de visibilité au pouvoir ecclésiastique.

"L'objectif des marchands, en développant la ville, est d'augmenter les rentrées fiscales, mais aussi leur pouvoir politique. C'est ce que le roi d'Angleterre finit par leur concéder. Alors que Henri II  a toujours refusé de confirmer la commune accordée aux bourgeois de Londres par le roi Etienne, il va l'accorder aux bourgeois de Rouen en leur octroyant vers 1170 une charte communale connue comme les établissements de Rouen. (...) Cent pairs, choisis parmi les membres de la guilde des marchands, sont désormais chargés d'administrer la ville avec à leur tête un maire, le premier élu étant Barthélemy Fergant en 1171. Les Etablissements de Rouen vont bientôt servir de modèle à plusieurs villes de Normandie (Eu, Dieppe, Les Andelys...) et de l'espace anglo-normand: Londres n'en bénéficiera qu'en 1190.

"Dans la foulée, une administration municipale composée d'une quinzaine de scribes professionnels dont un certain Guillaume fréquemment cité comme "secrétaire" remplace les clercs de la cathédrale dans la rédaction des chartes. La majorité des actes sont passés devant le maire, assisté de témoins civils souvent appelés "bourgeois". Les noms de certains témoins attestent l'attraction exercée par la ville sur les élites normandes tandis que d'autres révèlent l'émergence d'une élite sociale parmi les artisans.

"Signalons aussi la présence parmi cette élite municipale rouennaise de Juifs convertis tels que Robert le juif ou Raoul le Juif.

"Le moine Orderic Vital (1075-1143) considéré comme le plus grand historien de la période ducale normande est le premier dans son Historia ecclesiastica à attirer l'attention sur l'étymologie romaine de Rouen (Rodomus) qu'il fait dériver de "domus Romanorum", la maison des Romains. Un poème latin anonyme sans doute écrit pour honorer la venue à Rouen en 1148 du roi Geoffroi d'Anjou et de son épouse Mathilde l'Emperesse, célèbre la ville comme une fondation romaine, portant le même nom que Rome, pour peu, dit le poème qu'on retranche la partie centrale de Ro(tho) ma.

"Un autre poème, Draco Normannicus, écrit vers 1167 par Etienne de Rouen, moine au prieuré de Notre-Dame-du-Pré où Mathilde l'Emperesse s'était retirée, désigne Rouen comme la cité impériale pour la distinguer des deux autres villes normandes dont le nom peut être associé à l'empereur "César": Cherbourg (Caesaris burgum) et Lillebonne (Juilabona).

Ce moine latiniste du XIIe siècle a, semble-t-il, oublié les racines nordiques de la toponymie normande...

"Non seulement, Rouen est comparée à Rome, mais Guillaume le Conquérant est Henri II Plantagenêt sont présentés comme les nouveaux Césars, tandis que Mathilde est couverte d'éloge pour avoir fait don de la gloire impériale à la ville de Rouen."

 

CONCLUSION : « Sic transit gloria mundi »

1204 sonne l’arrivée définitive à Rouen et en Normandie de la France de Paris, ce qui signifie la fin d’un âge d’or. En effet, la France parisienne est trop terrienne et ne comprendra jamais rien de durable aux affaires maritimes et commerciales. Hier comme aujourd’hui. La dégringolade de Rouen commence. Elle va durer huit siècles et elle ne semble pas vouloir finir. Une décentralisation accrue laissant toute sa place aux acteurs locaux et régionaux à l’instar de ce qui fait encore la puissance et la réussite des grands ports de la Rangée nord-européenne, semble être la meilleure solution. Elle fut même déjà pratiquée dans la longue histoire du port de Rouen au XIXème lorsque ce dernier était géré par la chambre de commerce et d’industrie de la ville : ce fut alors un grand moment de prospérité qui avait réussi à se prolonger jusqu’aux terribles années 1940. L’année dernière, les Flamands, pour une fois, ont fait comme les Français. Ils ont fusionné le port d’Anvers et celui de Zeebruges en un seul. A sa direction ? Une femme, une élue locale sortie de l’échevinage de la ville d’Anvers devenu depuis peu et de fait, le port de… Paris. Plus qu’une méga-fusion étatique mélangeant la carpe et le lapin de l’estuaire du Havre à la confluence de l’Yonne au risque de générer des complexités fonctionnelles se répercutant sur l’efficacité des escales maritimes, ne vaudrait-il pas mieux de laisser travailler une façade portuaire normande en réseau autonome, de Cherbourg, Caen à Dieppe ou Le Tréport, avant-ports d’un système portuaire central Rouen-Le Havre dans la Basse-Seine normande ? Bref ! Faire le choix politique audacieux, de laisser vivre une « hanse » portuaire normande pour l’intérêt général du pays...

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Sources :

 Jacques-Sylvain KLEIN, "Le royaume juif de Rouen ressuscité",2ème édition, Arnaud Franel éditions, 2021

 René STREIFF, « Le port de Rouen », L’Information géographique, 1951, pp. 54-60

"Rouen, incertaine", Revue Mappemonde, 2002, 3ème trimestre, pp. 15-19

https://www.persee.fr/doc/mappe_0764-3470_2002_num_67_3_2164?q=port+de+rouen

 

Pour aller plus loin, on consultera cette bibliographie experte sur l'histoire et le développement du port de Rouen:

https://www.persee.fr/search?ta=article&q=port+de+rouen

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Commentaires
F
On peut douter effectivement des performances de la méga-structure d'HAROPA: les dernières nouvelles...<br /> <br /> https://www.lalettrea.fr/entreprises_transports/2023/01/25/haropa-a-la-recherche-d-un-second-souffle-commercial,109906469-art?cxt=PUB&utm_source=LLA&utm_medium=email&utm_campaign=AUTO_EDIT_SOM&did=109642991
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