Difficile d'être une région dynamique et attractive dans le Bassin Parisien... Si l'on en croit le titre d'une thèse universitaire de géographie présentée ci-dessous:
"La construction du piège régional : l'exemple des régions périmétropolitaines du Bassin parisien face à l'enjeu du développement"
Bigre! Tel est le titre d'une thèse soutenue en septembre 2020 à l'université de Rouen par le géographe Nathan Gouin avec Arnaud Brennetot au jury...
https://hal.science/tel-03130515/
Nathan Gouin. La construction du piège régional : l'exemple des régions périmétropolitaines du Bassin parisien face à l'enjeu du développement. Géographie. Normandie Université, 2020. Français. ⟨NNT : 2020NORMR053⟩. ⟨tel-03130515⟩
Résumé de la thèse de Nathan Gouin:
Cette thèse questionne l’apparente contradiction entre d’une part, le changement majeur provoqué par le processus de régionalisation avec l’affirmation des régions françaises comme échelon de développement économique, et d’autre part l’inertie du maillage régional jusqu’en 2015.
Le découpage régional a été conservé pendant soixante ans, malgré l’absence dans certaines régions de métropoles, considérées par la littérature scientifique comme un élément indispensable du développement en raison de la localisation des centres de décisions.
L’objectif est donc de déconstruire la boite noire de la décision en identifiant les différentes contraintes pesant sur les décisions des acteurs et ayant mené à ce paradoxe se révélant handicapant pour les régions dépourvues de métropoles.
Dans ce but, une analyse multifactorielle issue des théories néo-institutionnalistes a été utilisée, afin d’étudier l’influence des intérêts, des idées et des institutions sur les décisions des acteurs.
La thèse propose en outre de comprendre le rôle joué par l’espace sur les décisions à travers la formulation du concept de territorial dependency.
Cette approche est mobilisée pour analyser le processus ayant conduit à l’existence de régions sans métropole dans le Bassin parisien, car il exacerbe la tension existante entre l’aire d’influence de la métropole (Paris) et la division du maillage institutionnel. L’analyse de plusieurs séquences d’action publique (schéma directeur de 1965, schéma Basse Seine, lois de réforme régionale, contrat de plan État-région, programmes FEDER) au moyen d’une méthodologie adaptée aux sources et aux hypothèses a permis d’identifier plusieurs mécanismes (incrémentaux, intérêts, territoriaux, idéologiques) à l’origine des blocages au développement économique dans le Bassin parisien.
Voir, par exemple, la première carte proposée par cette thèse qui pose la question suivante:
Une région sans ville métropole véritable peut-elle se développer, notamment dans le Bassin parisien?
Commentaire de Florestan:
L'enquête rigoureuse de Nathan Gouin permet de faire l'histoire des paradoxes et des blocages observés dans l'aménagement du territoire et le développement du Bassin parisien à partir d'une couronne de villes situées à 100 km autour de Paris et dont certaines ont connu un passé prestigieux: pensons à Reims ou à Orléans et, bien entendu, pensons à Rouen qui était, au début du XIIIe siècle, plus peuplée que Paris ou Londres avec un rayonnement commercial et maritime européen à partir de la vallée de la Seine.
Nous n'avons pas lu les quelques 500 pages de cette thèse qui s'annonce passionnante pour ceux qui s'intéressent vraiment et sérieusement à l'émergence difficile, controversée ou maladroite du fait régional au XXe siècle pour tenter d'équilibrer un pays centralisé sur sa ville-région capitale à l'excès surtout depuis l'épisode révolutionnaire et napoléonien... Mais cette thèse est importante car elle documente tous les détails des mécanismes institutionnels, économiques, politiques ou idéologiques qui ont mis et mettent encore en oeuvre une sorte de schéma colonial plus ou moins inconscient dès lors qu'il s'agit d'organiser le développement des territoires du Bassin parisien.
On ne pourra que penser, immanquablement, à la question rouennaise car, de 1200 à 1220, quelle prodigieuse dégringolade pour notre métropole normande (au sens historique et religieux du mot) dans la hiérarchie urbaine française! Etre d'abord l'égal de Paris sous Philippe Auguste puis être, jusqu'aux années 1750, la seconde ville de France avec, pendant longtemps, une sorte de duopole sur la Seine entre Paris la politique et Rouen la maritime ou l'industrieuse avant que Lyon ne lui ravisse la place avec une touche plus financière. Du côté maritime et portuaire les ports de Rouen et du Havre gardèrent leur prééminence jusqu'à la Seconde guerre mondiale. Mais le tobogan du déclin rouennais et donc normand ne s'arrêtera plus jusqu'aux terribles années 1940 et c'est une ville et une région pantelantes et traumatisées en leurs ruines qui vont être relevées par l'Etat parisien dans le béton de la modernité et de la Reconstruction: Paris a gagné le match depuis longtemps et le refus de faire de la gloire décatie rouennaise une "métropole régionale d'équilibre" pour le Nord-Ouest entre Lille et Nantes sera une sorte de coup de grâce pour une ville appelée désormais à n'être qu'une seconde Mantes-la-Jolie dans une banlieue parisienne de plus en plus lointaine.
La Normandie coupée en deux puis réunifiée n'aura donc pas de métropole digne de ce nom: que c'est dur d'être une région dynamique et attractive dans le Bassin parisien!
Mais posons nous quelques questions pour finir, histoire de dire que l'Histoire n'est pas finie...
A la vue de l'actuelle crise sociale, économique, politique, culturelle, voire identitaire ou sécuritaire, est-il bien sûr que l'idée de métropole et les réalités qui se cachent de plus en plus mal sous ce prestigieux vocable sont encore pertinentes pour garantir à l'ensemble des territoires un avenir sûr et serein?
Aujourd'hui, Paris et sa région urbaine font fuir et les villes moyennes d'une province plus apaisée, plus humaine, plus sereine et plus facile à vivre au quotidien ont la cote...
Autre question: le modèle d'un archipel métropolitain connecté à la mondialisation a-t-il vraiment un avenir? Sera-t-il suffisamment robuste et résilient en cas d'effondrement systémique?
Une dernière question encore, géopolitique celle-là:
Le choix historique fait en 2015 par François Hollande de reconstituer en aval de la première région urbaine d'Europe la province historique de Normandie n'oblige-t-il pas les décideurs franciliens ou parisiens, qu'ils soient de la sphère étatique ou de la sphère financière, à calmer certaines ardeurs poussant à intégrer de plus en plus Paris ou le Grand Paris au niveau européen et mondial quitte à déconstruire ce qui s'appelle encore la France?