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Sire de Sei, la Normandie en toute liberté!
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Sire de Sei, la Normandie en toute liberté!
27 décembre 2022

1200: Lorsque ROUEN était une capitale plus grande que... Paris ou Londres!

Billet de Florestan:

R

En lisant l'excellent livre proposé par Jacques Sylvain Klein " le royaume juif de Rouen ressuscité" (seconde édition) on prend connaissance d'un récit historique étonnant car ce n'est pas le récit historique dominant qui a été imposé par la suite de l'Histoire:

Avant que ne s'affirme pour le meilleur et le pire l'unité et la force nationale de la France et de l'Angleterre de part et d'autre de leur canal maritime commun, il y eut, de 1066 à 1204, l'exceptionnel moment civilisationnel anglo-normand qui, par les hasards des constructions féodales et dynastiques, a placé la ville de Rouen, l'antique capitale de la Seconde Lyonnaise devenue la métropole de la province ecclésiastique du même nom, cadre du développement du puissant duché de Normandie à partir de 911, à l'apogée de sa longue histoire...

Après le naufrage de la Blanche nef au large de Barfleur en 1120 où se noya Guillaume Adelin l'unique héritier mâle du duc-roi Henri 1er Beauclerc de Normandie et d'Angleterre, le dernier des fils du Conquérant, avec la fine fleur de la haute artistocratie normande d'une cour ducale et royale en partance pour l'Angleterre, Mathilde, la petite fille du Conquérant revenue de son aventure allemande sans lendemain chargée du prestige du titre impérial se retrouva en première ligne pour assurer la suite de la grandiose aventure anglo-normande qui va, finalement, se déployer, des Pyrénées à l'Ecosse, suite au remariage de Mathilde dite "l'Emperesse" avec Geoffroy d'Anjou le Plantagenêt, cette famille qui nous laissera ses léopards jusqu'à aujourd'hui sur les armes de Normandie et d'Angleterre. 

On sait que cette grande affaire familiale, féodale, dynastique aux conséquences territoriales extraordinaires s'est faite dans la douleur d'une guerre civile de plusieurs années en Angleterre opposant Mathilde à son cousin Etienne de Blois qui avaint ceint la couronne sous prétexte que les esprits n'étaient pas encore prêts comme ils le seront plus tard à accepter le principe d'un souverain au féminin: notre normande Mathilde a failli être, en effet, la première reine de l'histoire anglaise mais le sort des armes l'a reléguée au rôle de régente de son fils Henri qui deviendra le plus grand souverain d'Occident par son mariage d'amour et de raison avec la magnifique Aliénor d'Aquitaine.

Dans cette seconde moitié du XIIe siècle, Rouen et la Normandie connurent une grande prospérité et elles le doivent, en partie par la remarquable régence de Mathilde l'Emperesse dont il faut absolument réévaluer le rôle dans l'histoire anglo-normande entre les deux grands couples fondateurs et moteurs de cette aventure: Guillaume et Mathilde au début et Henri et Aliénor à la fin...

Empress Mathilda - Mathilde l'Emperesse — Wikipédia (wikipedia.org)

Empress_Mathilda

Dans ces années 1150-1200, Rouen devient vraiment une grande ville: avec près de 30000 habitants elle est même plus peuplée que Paris ou Londres alors.

Rouen est même la véritable capitale financière et économique de l'immense empire territorial anglo-normand qui se déploie désormais de Bordeaux à Londres et qui permet aux marchands Rouennais de d'installer leurs succursales partout.

Rouen devient donc une plaque tournante du commerce maritime et de la finance en Europe en organisant toutes les liaisons comme débouché maritime d'un monde français et capétien contrôlant les foires de Champagne et les routes terrestres du Sud et de l'Est qui y convergent et comme point d'arrivée majeur du commerce maritime du Nord de l'Europe organisé par les villes de la Hanse.

A l'époque, près de 20% de la population de Rouen est d'origine juive et un puissant patriciat commercial et financier mêlant juifs, juifs convertis ou chrétiens émerge localement au point que la ville de Rouen fut l'une des toutes premières de l'Occident à accéder au statut de commune autonome en 1170, trente ans avant la fameuse city de Londres dont le port était alors considéré comme une annexe du port de... Rouen!

Cette histoire nous démontre une évidence que nos soi-disant élites d'aujourd'hui peinent à comprendre:

Si la vallée de la Seine normande avait pu être autour de 1200 l'une des principales places commerciales et portuaires de l'Europe occidentale c'est parce que les activités logistiques, commerciales et financières y étaient décidées, planifiées organisées depuis son pôle local principal, à savoir la ville et le port de Rouen suivant le principe évident, qui fait encore aujourd'hui toute la réussite et la puissance de villes comme Anvers, Rotterdam ou Hambourg, qu'un port de commerce et toutes les activités afférentes n'ait jamais aussi mieux géré et tenu que par ceux qui en ont, concrètement, l'usage...


 

Jacques-Sylvain KLEIN "Le royaume juif de Rouen ressuscité", pp.157-162

"A son apogée, vers 1180-1200, la zone densément urbanisée dépasse 100 hectares pour une population comprise entre 25000 et 30000 habitants. En surface comme en population, Rouen dépasse Paris et Londres. (...) Rouen était la plus grande cité du nord de la France et, jusqu'au règne de Philippe Auguste, plus grande que Paris. Les routes du commerce maritime étaient vitales pour sa richesse. 

"C'est l'urbanisme pratiqué par Henri II (1154-1189) sans équivalent dans les grandes villes de l'empire des Plantagenêts qui va donner à Rouen tous les traits d'une capitale. Il y transfère les sièges de l'Echiquier et du Trésor que Guillaume le Conquérant avait localisés à Caen. Il fait paver les rues en suivant l'exemple donné à Paris par Philippe Auguste. Il fait construire une nouvelle enceinte, élargissant le territoire de la ville. Et surtout, il augmente très substantiellement les donations aux établissements ecclésiastiques et monastiques de la ville. Parallèlement, la prospérité des millieux d'affaires entraîne la construction de nouvelles habitations en pierre.

La cité prend aussi pied sur la rive gauche vers Saint-Sever grâce à la "construction par Mathilde l'Emperesse d'un pont de pierre long de 300 mètres."

"La politique urbaine d'Henri II se poursuit sous Richard 1er Coeur de Lion (1189-1199), le plus normand des rois angevins- qui marque son attachement à la ville en faisant inhumer son coeur dans la cathédrale- et par Jean Sans Terre (1199-1204) qui aide à reconstruire la cathédrale après son incendie de 1200. La construction , en amont de Rouen de Château-Gaillard et tout un système fortifié le long de la Seine pour protéger Rouen des attaques du roi de France fait dire à l'historien John Gillingham qu'il faut alors parler de "région-capitale" et non plus de "ville-capitale" (sic!)

Commentaire de Florestan:

Voilà qui en laissera plus d'un songeur sur le mode... grandeur et décadence de cette bonne ville de Rouen de 1200 à... 2022!

"Rappelons en outre que l'archevêque de Rouen est primat de Normandie et que Rouen dispose depuis l'édit de Pîtres de 864 du droit de battre monnaie privilège dévolu à dix villes seulement.

"A partir d'une étude de l'ordonnance sur les moulins de 1199 et des signataires de la capitulation de Rouen en 1204 l'historienne Manon Six dégage une trentaine de personnages constituant l'élite patricienne de la ville. Parmi les noms qui reviennent le plus souvent, on trouve les Du Chastel, Du Donjon, Val-Richer, Malpalu, Grogniet... Mais aussi une femme, Emma dite la "Vicomtesse de Rouen" femme d'affaires très active en Normandie aussi bien qu'en Angleterre ou à Paris. L'augmentation du nombre de bien-faiteurs des abbayes normandes au début du XIIIe siècle apparaît révélatric de l'importance croissante de cette nouvelle classe marchande.

"Alors qu'à Paris, le commerce de l'argent reste entre les mains des Juifs, Rouen compte d'importants financiers chrétiens qui sont chargés d'effectuer les opérations de change entre la Normandie et l'Angleterre. L'interdiction réitérée par le IVème concile de Latran en 1215 de pratiquer le prêt à intérêt ne semble pas avoir freiné leurs ardeurs.

"L'agrandissement en 1192 de la halle des marchands vient symboliser l'ascension de cette bourgeoisie marchande qui commence d'ailleurs à faire de l'ombre à l'Eglise. C'est peut-être ce qui incite l'archevêque en 1140 à flanquer la façade de la cathédral d'une très haute tour, construite dans l'axe de la rue du Gros-Horloge. Cette nouvelle et majestueuse tour Saint-Romain vient contrebalancer le pouvoir croissant des marchands, en donnant plus de visibilté au pouvoir ecclésiastique.

R

"L'objectif des marchands, en développant la ville, est d'augmenter les rentrées fiscales, mais aussi leur pouvoir politique. C'est ce que le roi d'Angleterre finit par leur concéder. Alors que Henri II  a toujours refusé de confirmer la commune accordée aux bourgeois de Londres par le roi Etienne, il va l'accorder aux bourgeois de Rouen en leur octroyant vers 1170 une charte communale connue comme les établissements de Rouen. (...) Cent pairs, choisis parmi les membres de la guilde des marchands, sont désormais chargés d'administrer la ville avec à leur tête un maire, le premier élu étant Barthélemy Fergant en 1171. Les Etablissements de Rouen vont bientôt servir de modèle à plusieurs villes de Normandie (Eu, Dieppe, Les Andelys...) et de l'espace anglo-normand: Londres n'en bénéficiera qu'en 1190.

"Dans la foulée, une administration municipale composée d'une quinzaine de scribes professionnels dont un certain Guillaume fréquemment cité comme "secrétaire" remplace les clercs de la cathédrale dans la rédaction des chartes. La majorité des actes sont passés devant le maire, assisté de témoins civils souvent appelés "bourgeois". Les noms de certains témoins attestent l'attraction exercée par la ville sur les élites normandes tandis que d'autres révèlent l'émergence d'une élite sociale parmi les artisans.

"Signalons aussi la présence parmi cette élite municipale rouennaise de Juifs convertis tels que Robert le juif ou Raoul le Juif.

"Le moine Orderic Vital (1075-1143) considéré comme le plus grand historien de la période ducale normande est le premier dans son Historia ecclesiastica à attirer l'attention sur l'étymologie romaine de Rouen (Rodomus) qu'il fait dériver de "domus Romanorum", la maison des Romains. Un poème latin anonyme sans doute écrit pour honorer la venue à Rouen en 1148 du roi Geoffroi d'Anjou et de son épouse Mathilde l'Emperesse, célèbre la ville comme une fondation romaine, portant le même nom que Rome, pour peu, dit le poème qu'on retranche la partie centrale de Ro(tho) ma.

"Un autre poème, Draco Normannicus, écrit vers 1167 par Etienne de Rouen, moine au prieuré de Notre-Dame-du-Pré où Mathild l'Emperesse s'était retirée, désigne Rouen comme la cité impériale pour la distinguer des deux autres villes normandes dont le nom peut être associé à l'empereur "César": Cherbourg (Caesaris burgum) et Lillebonne (Juilabona).

Commentaire de Florestan: 

Ce moine latinophile du XIIe siècle a, semble-t-il, oublié les racines nordiques de la toponymie normande...

"Non seulement, Rouen est comparée à Rome, mais Guillaume le Conquérant est Henri II Plantagenêt sont présentés comme les nouveaux Césars, tandis que Mathilde est couverte d'éloge pour avoir fait don de la gloire impériale à la ville de Rouen."


 

Commentaire final en latin de Florestan:

"Sic transit gloria Mundi!"

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