Billet de Florestan:
Quand la bureaucratie de la DRAC prend ses décisions au sujet de la restauration d'un patrimoine architectural, en l'occurrence une église, sans prendre le temps d'expliquer aux braves gens non spécialistes de l'histoire et des techniques de l'art et de l'architecture ou quand un architecte prend un parti esthétique ou idéologique audacieux sinon problématique, les habitants du lieu prennent cela pour une agression symbolique et cette réaction est bien légitime même si la doctrine suivie pour justifier le parti pris de restauration peut se justifier.
Les habitants de ce village du Perche normand avec un maire conscient que l'église est le bâtiment qui possède le plus de richesse et de qualité architecturale et artistique de toute sa commune sont choqués de voir réapparaître sur les vieilles pierres patinées de leur église du XVIe siècle les crépis et les enduits qui, jadis, recouvraient les murs extérieurs pour bien les protéger des intempéries: il aurait fallu organiser une réunion publique pour expliquer et il est certain que cela aurait éveillé la curiosité intellectuelle des... braves gens!
Dans cette histoire édifiante typiquement française, on retrouve un peu le mépris venu d'en haut, celui des messieurs qui savent, pour ceux qui sont en bas, les braves gens qui ne savent pas grand chose.
Cela nous rappelle une autre histoire de restauration d'église normande bien plus douloureuse celle-là:
On est en 1947, dans les ruines de ce qui fut une charmante et pittoresque cité médiévale normande, entièrement rasée sous les bombes américaines de l'été 1944: Saint-Lô. Au milieu des ruines s'élève encore, éventrée, la grande belle église Notre-Dame qui avant la guerre, rivalisait avec la cathédrale de Coutances avec une façade harmonique à deux flèches qui réussissait à unir styles et époques différentes allant du XIIIe siècle aux années 1685.
Cette église et cette façade à deux tours et flèches faisait la fierté des Saint-lois et dans leur immense malheur tombé du ciel, ils auraient été capables de vivre dans des clapiers en béton, certes avec tout le confort moderne, s'ils pouvaient avoir la consolation d'avoir toujours au coeur blessé de leur cité, cette fière église restaurée à l'identique avec ses deux tours et ses deux flèches. Mais l'administration des "beaux arts" comme on disait à l'époque en décida tout autrement: Yves Marie Froidevaux jeune architecte talentueux voulait son geste personnel et au lieu de procéder à une reconstruction à l'identique du visage de cette église qui était le visage de toute une ville qui failli être anéantie à tout jamais, il décida de pétrifier la ruine telle qu'elle était et de restaurer l'église derrière un grand mur "cicactrisant" en schiste bleu vert. Le jeune architecte croyait avoir la bonne idée en toute bonne conscience: faire du seul bâtiment ayant survécu de tout le centre-ville d'avant guerre, le témoin de plus grand évenement de toute l'histoire de la ville de Saint-Lô depuis 800 ans. Le béton moderne, morne et banal allait faire disparaître les ruines d'une cité médiévale autrefois belle et pittoresque: il fallait donc que demeura la ruine de la façade de Notre-Dame de Saint-Lô quitte à détruire ou à disperser toutes les pierres et éléments archéologiques qui auraient permis une reconstruction fidèle.
On note qu'en Allemagne où les villes historiques furent encore plus anéanties qu'en France par la Seconde Guerre mondiale et les médiocres reconstructions qui la suivirent, on a opté récemment pour des reconstructions à l'identique ambitieuses à Dresde, Berlin, Postdam, Leipzig, Augsbourg ou Francfort-sur-le-Main où tout l'ancien quartier historique autour de la célèbre place du Römer vient d'être reconstruit à l'identique... Rien de tel, hélas, en France!
https://demainlaville.com/retour-vers-le-passe-quand-les-villes-rebatissent-leur-centre-ville-perdu/
En apprenant ce parti, les Saint-Lois entrèrent dans une colère désespérée à commencer par le maire et son conseil municipal: l'Etat leur avait promis une reconstruction de la ville à l'identique mais face à l'immensité de la tâche on se résigna au deuil définitif de la ville telle qu'elle fut pour accepter, bon gré mal gré, les expérimentations modernistes d'une ville nouvelle conçue comme une cité jardin au milieu du bocage. Pourquoi pas? Et puis vivre pendant près de trente ans dans des barraques, il fallait bien que cela finisse! On était donc prêt à tout accepter après tant de malheurs à condition que les services de l'Etat reconstruisent à l'identique le symbole même de la cité.
Mis devant le fait accompli, par l'administration et son architecte, le conseil municipal de Saint-Lô décida de ne plus contribuer financièrement et techniquement au chantier de restauration prétextant avoir d'autres urgences à traiter: Yves-Marie Froidevaux fut contraint d'accepter cette décision et s'engagea à ne jamais rien demander à la commune alors que cette dernière est la propriétaire du bâtiment. En conséquence, la restauration de l'église Notre-Dame de Saint-Lô se transforma en chemin de croix: le schiste choisi par l'architecte fut bien difficile à mettre en oeuvre et le chantier traîna en longueur des années durant jusqu'en 1972 pour l'essentiel et l'église restaurée ne fut inaugurée et reconsacrée qu'en 1974, soit 30 ans après sa destruction en juin 1944.
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-10-27/la-facade-restauree-de-leur-eglise-choque-les-habitants-de-cette-commune-normande-voici-pourquoi-3dd0159f-0def-41dd-9e86-38c0bfc52720
La façade restaurée de leur église choque les habitants de cette commune normande, voici pourquoi
C’est un badigeon de chaux qui a mis le feu aux poudres. « Horrible », « affreux », « honteux », « catastrophique ». Sur la place de l’hôtel de Ville de Longny-les-Villages (Orne), commune nouvelle située au cœur du Perche, les passants n’ont pas de mots assez forts pour décrire l’enduit appliqué sur la façade de l’église Saint-Martin.
« Qu’est-ce qui leur est passé par la tête ? »
La révélation du résultat des travaux de restauration de l’édifice du XVIe siècle, mi-octobre, a fait naître une vive polémique. « Lorsqu’ils ont démonté l’échafaudage, ça a été un choc. On a découvert cette couleur jaune. Qu’est-ce qui leur est passé par la tête ? », se demande François, assis sur un banc, de l’autre côté de la place de l’hôtel de Ville.
Le retraité n’est pas le seul à s’interroger. Au café du commerce, « ça fait jaser, c’est sûr », constate Tom, le serveur. Une pétition a même été lancée par une habitante « pour démaquiller la façade » de l’église. Le texte, déjà appuyé par une centaine de signataires, est direct : « Après des mois de travaux et une note bien salée, on nous a rendu une façade méconnaissable, liftée, fardée, badigeonnée. […] Enlevez-lui ce masque, rendez-lui son âge, rendez-lui son âme, et rendez-nous Notre vieille Dame, avec nos souvenirs gravés sur ses vieilles pierres. »
Dernier état historique cohérent
La restauration de l’église, entreprise en 2021, est globale. Les travaux du clocher, qui ont rendu son aspect clair à la pierre, font l’unanimité. Le choix du badigeon de chaux pour la façade, dans les tons beiges, beaucoup moins, donc.
La technique et la nuance de la couleur utilisées ont pourtant été validées par la Direction régionale des Affaires culturelles (Drac). « L’église a été restaurée selon le dernier état historique cohérent. Nous n’en avons pas l’habitude mais toutes les églises de cette période étaient badigeonnées. Dans ce cas, ce qui dérange les gens, c’est le contraste entre la façade peinte et le clocher qui, lui, ne l’a pas été. C’est un choix de la Drac, on ne repeint pas les clochers », précise Benoît Maffre, l’architecte du patrimoine choisi pour piloter les travaux.
« Ils ont des photos ? »
Les ouvriers sont encore à l’œuvre autour de l’édifice. C’est à eux que s’adressent souvent les passants dubitatifs. « On nous dit que ce n’est pas parce que c’était comme ça à l’origine que c’est forcément une bonne idée d’y revenir, raconte un couvreur. Nous, on fait notre boulot, on n’est pas là pour prendre les décisions. »
L’apparition d’un bandeau blanc, juste au-dessus des portes repeintes dans un vert foncé originel, cristallise les critiques. « C’est quoi, en fait ? Personne ne nous a expliqué. Et puis, comment ils savent que ça existait avant, ils ont des photos ? », interroge, acerbe, Patrick, un natif du village accoudé au PMU qui fait face à l’église.
« Laisser l’enduit se patiner »
Ce liseré est en fait une litre, une ceinture de deuil sur laquelle étaient peintes les armoiries seigneuriales. « Mais elles sont où, là, les armoiries ? », renchérit Patrick. Il en reste en fait une trace. « Nous avons retrouvé des indications claires de l’existence de cette litre dans les matériaux hétérogènes qui constituent la façade », confirme Benoît Maffre.
L’architecte, conscient de la polémique, est prêt à trouver un terrain d’entente. « Il y a deux options à partir de maintenant… Soit trouver une nouvelle nuance de couleur et repeindre. Cela a un coût et est-ce bien judicieux dans une période où l’heure est aux économies ? Soit attendre quelques années et laisser l’enduit se patiner sous l’effet des pluies normandes pour retrouver une uniformité. Ce sera à la collectivité de décider. »
Attendre la fin des travaux
Justement, le maire, Christian Baillif, probablement échaudé par la querelle de clocher, ne souhaite pas faire de commentaire « tant que les travaux ne sont pas terminés, il n’y a aucun intérêt ».
Le premier édile a peut-être raison. L’utilisation du sable de Longny, issu de la carrière locale, sur le reste des façades de l’église, est prometteuse. Encore dissimulée derrière les échafaudages, la couleur orangée distinctive est du plus bel effet. « D’autant que là, ils laissent les pierres apparentes. Ça devrait être très beau », espère Anne, 65 ans. Alors que d’autres, sur les réseaux sociaux sont déjà séduits, comme Olivier : « Moi j’adore… Le respect des matériaux avec ce badigeon de chaux et l’esprit contemporain du rendu. Bref, l’alliance du passé et du présent. »