Billet de Florestan:
La "France moche" cela concerne aussi, hélas, notre région: la Normandie déjà amochée par les bombes de 1944 et le béton de mauvaise qualité de la reconstruction des années 1955-1965 (on mettra, cependant, de côté la première reconstruction des années 1948-1955 où une architecture de qualité, à la fois régionaliste et moderniste, avait pu être mise en oeuvre dans les centres villes normands ravagés par la Seconde guerre mondiale), une Normandie amochée aussi par l'industrialisation et l'urbanisation industrielle des grands ensembles des années 1970 et qui est, maintenant, amochée depuis près de 40 ans par les phénomènes décrits avec précision dans l'excellent article à lire ci-dessous proposé par le Figaro Magazine (26 août 2022):
Dans sa déglingue régalienne en cours, l'Etat central parisien ne tient plus ses grandes politiques publiques nationales d'intérêt général: on le voit, en effet, jusqu'au tragique, dans le domaine assez évident de la sécurité publique avec la multiplication récente de faits divers sanglants au coeur de l'été...
Mais dans l'ordre plus subtil et supérieur du symbolique et de l'esthétique, la déglingue régalienne de l'Etat en matière de protection de notre patrimoine historique architectural, paysager ou naturel provoque des effets tout aussi tragiques: la laideur est une vraie agression et, à l'instar, d'une agression au couteau, cette laideur s'est généralisée et banalisée au nom du confort moderne et pratique.
Et, à l'instar du ministère de l'Intérieur et de sa police, le ministère de la culture et ses DRAC sont aux abonnés absents.
Et, pour compliquer la situation, les politiques publiques patrimoniales sont divisées entre l'Etat et ses DRAC qui ne servent quasiment plus à rien et les conseils régionaux qui ont développé une administration ad hoc de plus en plus importante à partir du service de l'inventaire du patrimoine régional qui avait été transféré des DRAC vers les conseils régionaux en 2004 avec la répartition des rôles suivante: à l'Etat les responsabilités régaliennes de conseil, de contrôle et de sanction. Au conseil régional, l'identification et la valorisation du patrimoine de la région. Cette clef de répartition des responsabilités publiques en matière patrimoniale ne fonctionne plus du fait du désengagement financier de l'Etat et de la neutralisation des DRAC... Par exemple, les architectes des bâtiments de France ne servent quasiment plus à rien sauf à prodiquer quelques rudiments de culture architecturale à des promoteurs médiocres et verreux...
Conséquence: la défense et la valorisation de notre patrimoine architectural historique et paysager repose désormais sur les initiatives de la société civile et ses associations loi 1901 souvent reconnues d'utilité publique: dans la France de 2022, la politique publique patrimoniale ne se décide plus dans les DRAC ou au ministère de la Culture mais dans les palais de justice...
Nietzsche, biensûr, avait ce mot d'une ironie cruelle: "l'homme moderne est lâche avec les conséquences."
Nous y sommes!
Et il faut avoir ici l'honnêteté de reconnaître qu'une certaine décentralisation n'a pas eu que d'heureuses conséquences sur la préservation de notre patrimoine historique ou sur la beauté de nos paysages urbains ou ruraux: c'est même plutôt le contraire avec la liberté laissée aux maires de signer les permis de construire, liberté redoutable quand la corruption, le clientèlisme, ou plus simplement, le manque de compétence ou l'absence de la moindre curiosité intellectuelle, président, ensemble ou séparément, à la consécration de la "France moche" autour d'un rond-point bordé de grands lampadaires bleus se détachant dans le crépuscule d'un horizon piqué d'une guirlande rouge clignotante depuis l'établissement d'une dizaine d'éoliennes sur des terres agricoles appartenant à la famille de Monsieur le maire...
Une tentative de reméde serait l'instauration d'un label de "village paysager" où les maires ne délivreraient des permis de construire que si il y a, au moins, compatibilité avec l'architecture historique et avec les constructions pré-existantes.
Le paysage est un bien commun que nul individu ne devrait pouvoir saccager. A contrario, les propriétaires de demeures de caractère visibles de la chaussée devraient avoir des barêmes d'impôt foncier allégés compte tenu des coûts d'entretien au bénéfice du paysage pour tous.
J'ai devant moi, en plein pays de Caux, une maison de type breton; l'individu s'est fait plaisir, mais "ça jure".
Il faudrait que les maires soient culturellement instruits et que les achitectes cessent de se considérer plus créatifs que nécessaire par rapport à leurs précécesseurs; car la même obsolescence guettte chacun d'entre eux selon cette logique.
Question: on distingue les architectures locales pour une grande partie par les toitures, quel degré d'inculture et d'enlaidissement aurons nous atteint quand les toits alsaciens, basques, bretons, normands, etc seront tous des panneaux solaires??