C’est un camouflet pour Catherine Morin-Desailly, sénatrice de Seine-Maritime et présidente de la commission Culture de la région Normandie. Son projet était de fusionner les deux orchestres de la région : l’Orchestre de l’Opéra de Rouen et l’Orchestre régional de Normandie. L’annonce en avait été faite devant les musiciens le 16 novembre par Hervé Morin, président de la Région. Ce dernier affirmait que l’objectif était ainsi d’obtenir le label d’orchestre national. Mais à quel prix ? De nombreux élus locaux avaient immédiatement réagi, s’inquiétant d’un « asséchement culturel », selon les mots de Bertrand Havard, adjoint au maire de Mondeville, à l’origine d’une pétition dénonçant ce rapprochement. Et désormais, après l’organisation de plusieurs groupes de travail, ce sont les musiciens des deux orchestres qui ont annoncé le 1er avril leur opposition unanime à ce projet. « Au départ, un certain nombre de musiciens étaient ouverts à l’idée d’un rapprochement. Nous étions totalement disposés à discuter avec la Région. Mais aujourd’hui, nous y sommes désormais tous opposés. Ce projet est motivé par des raisons structurelles, politiques et absolument pas musicales. Cette fusion va nous faire faire moins de concerts, de moins bonne qualité, mais avec plus de moyens. Cela n’a aucun sens. En nous impliquant dans le processus, la Région nous a demandé de faire le sale boulot en vue d’un désastre humain », nous disent les représentants des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen et de l’Orchestre régional de Normandie (trois musiciens ont été élus dans chacun des orchestres pour participer aux groupes de travail organisés par la Région). 
Mensonges
Que s’est-il passé entre l’annonce mi-novembre et cette décision six mois plus tard ? « À chaque réunion, nous avions des questions portant sur l’artistique et nous n’avons obtenu aucune réponse. Que vont devenir les postes partant à la retraite ? On nous a simplement fait comprendre que les recrutements ne se feraient peut-être pas forcément sur les mêmes postes d’instruments… Combien de concerts seront programmés ? On nous a répondu qu’il y aurait le même nombre qu’actuellement, ce qui signifie en additionnant ceux des deux orchestres, 286 concerts par an ! Ce n’est pas sérieux. En tant que musicien, on doit être sincère sur scène. Pour cela, le mensonge autour de cette fusion ne passe absolument pas. Ils auraient mieux fait de nous dire d’emblée qu’ils ne voulaient que d’un seul orchestre et ne pas jouer la comédie. » La Région avait affirmé que les salaires des musiciens de l’Orchestre régional seraient alignés sur ceux, plus élevés, de l’Opéra de Rouen : « C’était la carotte. Mais quid des heures de bus à faire, des logements ? »
Identités artistiques
Alors que le rapport sur les orchestres rendu l’année dernière au ministère de la Culture par Anne Poursin et Jérôme Thiébaux préconise une meilleure irrigation des territoires en développant les orchestres, cette fusion semble prendre le contre-pied : « Ce projet va à contre-courant de l’époque actuelle, également d’un point de vue écologique. Réunir un seul orchestre en faisant des concerts en bus… » Les musiciens dénoncent la perte artistique engendrée par une fusion : « La Région dit que nos deux orchestres sont aujourd’hui en concurrence, mais c’est totalement faux. Au contraire, nous avons deux identités différentes : l’Orchestre régional est une formation à géométrie variable, Rouen est un orchestre de fosse. Ce sont deux cultures totalement distinctes. La seule vision artistique de la Région se résume à : plus un orchestre est gros, plus c’est beau… »
La question du timing a aussi inquiété les représentants des musiciens : « La Région voulait nous présenter, avec la société de conseil extérieur missionnée pour ce dossier (ndlr : société Jabaly Conseils), les scénarios de fusion dès le mois de mai. Nous n’avons jamais été à l’aise avec une telle rapidité. En fait, ils nous demandaient de préparer le premier étage de la fusée de la fusion et de leur donner notre bénédiction. » 
Rôle des fédérations et syndicats
Cette fusion interpelle enfin sur le rôle des fédérations et syndicats du secteur. L’Association française des orchestres (AFO) a pour présidente… Catherine Morin-Desailly, qui est la cheville ouvrière de ce projet de fusion. Une situation pour le moins troublante, sans compter que la même Catherine Morin-Desailly est référente culture de l’équipe de campagne de Valérie Pécresse. Quant au syndicat des Forces musicales, il a pour vice-président Loïc Lachenal, le directeur de l’Opéra de Rouen, qui prépare depuis plusieurs années ce projet de fusion. Une source proche du dossier s’interroge : « Ces structures doivent défendre la place des orchestres et là ils préconisent la diminution du nombre de formations sur le territoire. Leurs motivations semblent désormais avant tout politiques. »  Du côté des représentants d’employés, on notera aussi le silence du SNAM-CGT sur ce dossier. Ce sont donc les musiciens qui sont directement montés au créneau. Cette décision de rejet de la fusion prise à l’unanimité, chose rare dans le secteur, va-t-elle faire  revoir ses positions au président de la Région Hervé Morin ? Pour les représentants de musiciens, l’enjeu est aussi plus large : « Au-delà de nos structures, nous défendons ici le métier de musicien. Nous ne voulons pas être les fossoyeurs de la profession. »


Boîte noire
La Lettre du Musicien a transmis une demande d’interview à Catherine Morin-Desailly. La direction de la communication de la région Normandie nous a envoyé ce message: « Nous accusons réception de votre demande. Pour l'heure, le process d'étude est à l'œuvre, il se poursuit. La Région communiquera sur des informations reposant sur un large consensus pas sur des inquiétudes et des présupposés, aussi légitimes soient-ils. Le sujet est au travail et n'appelle pas d'autres commentaires pour l'instant. »
Commentaire de Florestan:
Et la NORMANDIE là-dedans?
Depuis 2016, Hervé Morin avait pris grand soin de respecter les équilibres territoriaux pour réussir l'unité de la Normandie entre l'Est et l'Ouest, entre Caen et Rouen entre territoires urbains et territoires ruraux et, en matière de diffusion de notre patrimoine musical commun, l'Orchestre Régional de Normandie avait le talent et la mobilité nécessaires pour aller porter nos trésors musicaux devant toutes les oreilles normandes...
Catherine Morin-Desailly qui n'est pas, répétons-le, officiellement en charge de la politique culturelle régionale de la Normandie: une élue nationale, (Dame Catherine est sénatrice de la Seine-maritime tout en étant conseillère régionale de Normandie) ne peut être en charge d'un exécutif local. C'est Patrick Gomont, le maire de Bayeux qui fait office d'homme de paille en tant que vice-président en charge de la culture à la région Normandie, tandis que Dame Catherine tire toutes les ficelles... Hervé Morin, qui estime avoir d'autres chats normands à fouetter (à juste titre) laisse faire Dame Catherine ce qu'elle veut ou presque.
La Culture et ses politiques publiques n'est pas un petit sujet et lorsqu'on à l'honneur et le devoir de présider aux destinées de la région la plus patrimoniale de France, la Culture régionale devrait être le domaine réservé du président de région car, pour la Normandie, la culture est un secteur stratégique d'aménagement du territoire et de rayonnement social et économique.
La politique culturelle de diffusion du patrimoine musical en Normandie ne doit pas être arbitrée à l'aune d'obscures intentions ou d'intérêts plus ou moins inavouables.
Elle doit participer puissamment de notre unité régionale enfin retrouvée ne serait-ce qu'en faisant découvrir le merveilleux trésor oublié du patrimoine musical classique et symphonie inspiré par la Normandie et créé par des compositeurs normands entre 1880 et 1944: un véritable âge d'or!
C'est pourquoi, s'il devait y avoir un orchestre national de région en Normandie, et il nous en faudrait un, il faut faire en sorte que l'actuel Orchestre Régional de Normandie puisse le devenir car il a la légitimité territoriale et artistique pour le devenir.