Billet de Florestan:

On apprend qu'Hervé Morin souhaite fusionner l'orchestre régional de Normandie, basé à Mondeville près de Caen avec l'orchestre de la fosse de l'opéra régional de Rouen pour n'en faire qu'un seul d'ici 2023.

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A la manoeuvre?

Catherine Morin-Desailly, une fois de plus!

La sénatrice centriste de la Seine-maritime, conseillère régionale de Normandie dirige, en effet, la politique régionale culturelle normande sans pourtant en avoir le titre ni la légitimité officielle en raison de la règle du non cumul entre un mandat de la représentation nationale et une fonction exécutive locale. Patrick Gomont, le maire de Bayeux, vice-président à la culture au conseil régional est, de fait, un homme de paille. Hervé Morin qui a tant d'autres chats normands à fouetter, laisse faire la Régente Catherine dans un domaine culturel où le président normand n'intervient pas ou peu...

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Morin ou Morin-Desailly?

Culture régionale authentique ou culture administrée en région?

Cette situation baroque, nous l'avions déjà dénoncée sur le dossier pénible de la fusion du FRAC Normandie, génère bien des difficultés: la politique culturelle régionale normande manque de cohérence et de visibilité entre la volonté du président Morin de soutenir plutôt la culture régionale normande authentique, enracinée et identitaire (par exemple, le soutien à la langue régionale) et, d'autre part, le jardinage culturel de Madame Morin-Desailly qui promeut une politique culturelle régionale administrée bien en phase avec les prescriptions du ministère de la Culture de l'Etat central parisien...

D'un côté, des associations plutôt agiles en lien et en phase avec les pratiques culturelles réélles des Normands.

De l'autre, des institutions publiques avec une bureaucratie culturelle dans le cadre d'Etablissements Publics de Coopération Culturelle (EPCC) qui permettent de recevoir des financements publiques dans le cadre de labels contraignants tant sur le fond (prescription culturelle) que sur la forme et, surtout, pour les élus concernés, la possibilité de présider à ces structures culturelles publiques.

La fusion entre l'orchestre régional de Normandie et l'orchestre de l'opéra régional de Rouen: vers un EPR musical cacophonique?

Disons clairement les choses:

Ce n'est pas en créant un gros éléphant blanc musical bureaucratique rouennais (un EPCC de plus) que l'on va améliorer la diffusion du patrimoine musical européen au fin fond de toutes nos campagnes normandes :

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https://www.musicologie.org/20/carte_postale_l_orchestre_regional_de_normandie.html

C'était là la belle mission, sinon la vocation de l'ex ensemble orchestral de Basse-Normandie, devenu depuis la réunification, l'orchestre régional de Normandie, qui avait ainsi acquis une solide expérience en la matière avec une belle connaissance du territoire normand et qui était parti avec succès à la conquête du Pays de Caux ou du Pays de Bray car dans la très socialiste ex Haute-Normandie, ce travail de diffusion en profondeur sur le territoire du patrimoine de la musique classique n'était pas fait.

Autant la collaboration artistique et musicale sur des projets ponctuels pouvait être légitime entre les deux phalanges pour monter, par exemple, un grand projet symphonique, autant leur fusion risque de détruire leurs qualités musicales propres. Les habitudes, les musiques et les façons de travailler sont différentes...

Une bonne idée devient mauvaise dès lors qu'elle ignore la réalité.

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https://www.orchestrenormandie.com/actualite/decouvrez-la-nouvelle-saison-2021-2022/

 

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La vraie raison: une opération de renflouage du vaisseau fantôme lyrique rouennais...

Depuis le 15 mais 2018, par l'entremise de Madame Morin-Desailly,  l'opéra de Rouen et son orchestre ont obtenu du Ministère de la Culture le label de "théâtre  lyrique conventionné d'intérêt national."

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036926257

Comme tout label délivré par le Ministère de la Culture, il y a un cahier des charges contraignant dont le respect scrupuleux conditionne le financement de l'Etat. Relire la célèbre fable "le loup et le chien" de Jean de la Fontaine permettra de comprendre assez vite certains enjeux. Car l'arrêté du 5 mai 2017 fixant les conditions d'attribution et le cahier des missions et des charges d'un conventionnement pour les "théâtres lyriques d'intérêt national" se donne des objectifs ambitieux pour ce qui est des effectifs musicaux et du nombre de productions lyriques proposées et diffusées.

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034679485

Il faut donc le budget de fonctionnement en conséquence. Pour lors, le Théâtre des Arts, c'est-à-dire, l'opéra régional de Rouen, "théâtre lyrique d'intérêt national", propriété de la métropole de Rouen, est essentiellement financé par le Conseil régional de Normandie (pour 7 millions €) avec le concours de la métropole de Rouen (environ 2 millions €) et l'Etat (2 millions€), le conseil départemental de la Seine-maritime s'étant retiré du financement de cette institution...

Mais, semble-t-il ce n'est pas suffisant pour honorer le cahier des charges d'un théâtre lyrique labélisé "d'intérêt national" par le Ministère de la Culture même si la raison budgétaire est loin d'être la seule pour expliquer l'atonie du rayonnement artistique de l'opéra régional de Rouen, ces dernières années: dans la maison lyrique rouennaise, l'ambiance de travail pourrait être meilleure et les projets artistiques et musicaux pourraient être plus pertinents avec une direction institutionnelle plus stable.

Jeu de bonneteau?

Comme d'habitude, l'Etat central peine à assumer les conséquences concrètes des labels officiels qu'il délivre et des cahiers des charges qu'il exige:

D'après certains experts en politique culturelle il faudrait 4 millions d'euros de plus pour que le Théâtre des Arts de Rouen soit réellement au niveau du label  exigé par le ministère de la Culture: de la à renflouer la grosse galère lyrique rouennaise avec le démembrement de la jolie frégate musicale agile et efficace de l'orchestre régional de Normandie pour un futur EPCC vaisseau fantôme officiellement présidé par le commandant Morin mais dirigé de fait par le second, Morin-Desailly...

Conclusion:

Pas sûr que le public mélomane normand qu'il soit à Caen, à Rouen ou au fin fond de l'Avranchin, du Pays de Bray ou du Cotentin s'y retrouve! Les publics (notamment les abonnés) sont très attachés à leur orchestre et il est peu probable qu'ils apprécient, tout comme les musiciens concernés, que l'on renfloue un orchestre de fosse tout en en coulant un autre en raison de la... défausse de l'Etat!

Pas sûr, enfin, que cela ne soit très apprécié du côté de Caen: le clochemerle caenno-rouennais risque de repartir de plus bel...

Qu'en pense, d'ailleurs, Monsieur Bruneau?

Pour mémoire, en 2017 déjà, Hervé Morin avait rappelé la métropole de Rouen (qui possède le Théâtre des arts) et l'Etat a leurs devoirs financiers quant au fonctionnement de la scène lyrique rouennaise:

http://www.paris-normandie.fr/breves/normandie/le-president-de-la-region-appelle-metropole-et-etat-a-soutenir-ses-ambitions-LH11525169

Citation:

« Il va falloir à un moment être un peu plus présents dans le financement de cet opéra », leur a-t-il demandé avec pour argument « qu’il suffirait d’augmenter le budget pour que cet opéra ait un rayonnement qui le place dans la cour des grands ».


Lire l'article de Ouest-France (25/11/21):

https://www.ouest-france.fr/normandie/mondeville-14120/mondeville-vent-debout-contre-la-fusion-entre-les-orchestres-de-normandie-et-de-rouen-68897a88-4dd4-11ec-a95a-65d4098bd160

Mondeville vent debout contre la fusion entre les orchestres de Normandie et de Rouen

​L’annonce, par le président de la Région Normandie, de son souhait de voir fusionner d’ici 2023 l’Orchestre régional de Normandie et l’orchestre de l’Opéra de Rouen, génère de l’inquiétude de ce côté-ci de la Seine. À Mondeville, ville siège de l’orchestre de Normandie, le conseil municipal invite les élus à se mobiliser contre le projet.

« Une grande perte pour notre territoire », « une annonce qui remet en cause la décentralisation culturelle » : que ce soit Hélène Burgat, maire (ex-PS, désormais sans étiquette) de Mondeville (Calvados), ou Joël Jeanne (PCF), chef de file de l’opposition de cette ville aux portes de Caen, l’annonce faite ces derniers jours par Hervé Morin n’a pas manqué de faire réagir : selon plusieurs sources, le président de la Région Normandie (ORN), a annoncé mardi 16 novembre 2021, aux musiciens de l’Orchestre régional de Normandie basé à Mondeville, et à leurs homologues de l’orchestre de l’Opéra de Rouen (Seine-Maritime), son souhait de les voir fusionner à l’horizon 2023.

Cette perspective n’est pas nouvelle : lors de la fusion des ex-Haute et Basse-Normandie, la question s’était déjà posée. La sénatrice rouennaise Catherine Morin-Desailly, membre du conseil d’administration de l’Opéra de Rouen, avait à l’époque souhaité la mise en place « d’articulations » entre les deux formations.

« Un coup porté à l’équilibre entre Rouen et Caen »

Réunis en conseil municipal, mercredi 24 novembre 2021, les élus mondevillais ont unanimement réagi à cette perspective de fusion. « Elle ne servira que l’orchestre de l’Opéra de Rouen, pour l’obtention du label national », avance Hélène Burgat, qui insiste sur les missions de médiation menées par l’Orchestre régional de Normandie, « que nous avons la chance d’héberger ici. C’est un coup porté à l’équilibre entre Caen et Rouen, alors que jusqu’ici, la collaboration avait été respectueuse. »

Les élus mondevillais craignent de voir les 18 musiciens de l’Orchestre régional (et ses budgets) absorbé par la formation rouennaise (40 musiciens permanents).

Adressant tout son soutien au président de l’ORN, Philippe Toussaint, ainsi qu’à Pierre-François Roussillon, directeur général de l’ORN, « et l’ensemble des musiciens », la maire de Mondeville envisage de proposer à ses élus de voter « une motion contre ce projet ». Elle invite « tous nos collègues de l’agglomération caennaise à se mobiliser ».


 Dernier commentaire de Florestan:

Au sujet de l'unité normande...

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La réunification ou la fusion territoriale normande c'est une chose. Et une chose que l'on espère bien acquise. Définitive et inéluctable car notre Normandie millénaire a failli crever définitivement par deux fois au XXème siècle: une fois en 1944 et l'autre fois, plus sûrement, à l'occasion d'une langueur qui a duré de 1956 à 2015.

On saluera donc, avant de le critiquer hélas, Hervé Morin le Normand réunificateur qui s'est clairement et courageusement engagé politiquement dès 2004 aux côtés de Philippe Augier le maire de Deauville et du député Alain Tourret, en faveur de l'unité normande: c'était les temps héroïques du "serment d'Epaignes". Très bien!

Mais faut-il confondre la fusion territoriale normande, c'est-à-dire, la reconstitution d'un espace commun et unique étendu sur tous les territoires géo-historiques normands, avec la fusion de toutes les institutions régionales normandes sous prétexte de ne garder pour chacune d'entre elles qu'un seul périmètre géographique: la Normandie?

Pour le dire plus politiquement, il est incohérent de pratiquer un centralisme régional à l'échelle normande alors que l'on dénonce à juste titre au nom d'un esprit girondin démocratique et "polysynodal" normand, tous les travers du centralisme parisien jacobin:

C'est la raison pour laquelle nous nous sommes opposés à l'idée d'Hervé Morin de fusionner les trois actuelles universités normandes profondément attachées à leurs villes propres pour n'en faire qu'une sachant que faire une seule université normande reviendrait à rétablir la seule université de Caen qui existe depuis 1432.

La Normandie est polycentrique dans sa nature même et c'est la raison pour laquelle il fut facile pour le pouvoir central parisien de la démembrer ou de la diviser sans pour autant la faire disparaître totalement car la Normandie c'est surtout l'unité dans la diversité et c'est précisément pour retrouver les joies et les ambitions de l'unité dans la diversité que le pari du retour contemporain à l'unité normande a été fait.

 Nous le savons tous, nous avons les défauts de nos qualités et les qualités de nos défauts: les Normands sont individualistes et ils n'aiment pas mieux que de demeurer dans leurs bocages respectifs...

Alors ils doivent apprendre à collaborer entre eux pour réussir: quand l'enjeu en vaut la peine, les Normands tel un équipage de marins, s'activent et donnent le meilleur d'eux-mêmes tout en restant maîtres d'eux-mêmes et de leurs initiatives.

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En conséquence, il n'est pas certain que la fusion des Normands dans une caserne unique soit la bonne solution! Cela conviendrait mieux à des Bretons ou des Corses. Mais pas aux Normands!


Pour aller plus loin:

Sur l'équilibre économique fragile de l'art lyrique en France:

http://www.sos-culture.eu/?page_id=149

https://www.lesechos.fr/2008/02/nos-tres-chers-operas-1077693

Sur le cadre contraignant des orchestres labélisés nationaux en région:

https://mesdemarches.culture.gouv.fr/loc_fr/mcc/requests/LIEUX_SOUTI_labellises_07/

En 2012, le Figaro avait mis les maisons lyriques françaises au banc d'essai: l'opéra de Rouen classé dans la rubrique "peut mieux faire"...

http://www.lefigaro.fr/musique/2012/10/09/03006-20121009ARTFIG00299-les-operas-de-province-au-banc-d-essai.php

Analyse des finances des principaux opéras et orchestres en France (2016):

http://www.journalzibeline.fr/nos-operas-de-province/

Rapport d'observations définitives sur la gestion de l'opéra de Rouen Haute-Normandie rendu par la chambre régionale des comptes de Haute-Normandie (2010):

http://www.culture-epcc.fr/wp-content/uploads/2015/09/Rapport-CRC-Opera-Rouen.pdf