Pêche post-Brexit: Ominous sky du côté de Granville. Les intérêts normands sacrifiés à Paris, Londres et Bruxelles?
"Ominous sky" disent les Anglais lorsqu'un grain noir barre l'horizon marin...
La situation se tend dangereusement sur le dossier des droits de pêche post-Brexit entre la France et l'Angleterre: face à une conception très restrictive du dossier de la pêche du côté de Londres qui fait fi de certaines réalités locales et régionales, à commencer par les nôtres, du côté des îles anglo-normandes, Paris envisage désormais des mesures de rétorsion pour faire pression sur Londres quitte à s'en prendre directement à nos intérêts normands:
La coopération culturelle et économique particulière existant entre la Normandie continentale française et les états et bailliages de Jersey et de Guernesey est directement menacée!
Revue de presse (Ouest-France):
Sur le port de Granville (Manche), les pêcheurs ont accueilli la liste des licences octroyées par l’île anglo-normande avec fébrilité et colère, ce mercredi 29 septembre 2021. Nous les avons rencontrés sur les quais.
Malgré sa casquette rose aux couleurs de son bateau, l’humeur de Raphaël Chayla est morose. Le patron du Suzanga n’a pas besoin de voir la liste des licences accordées par le gouvernement de Jersey, ce mercredi 29 septembre 2021 pour savoir qu’il n’en fera pas partie. Le Suzanga, « sistership » de son autre bateau, le Stenaca, est arrivé dans le port de Granville en avril 2021. Aucune antériorité de pêche à prouver dans les eaux de Jersey. Les eaux de l’île anglo-normande représentaient « 40 % du chiffre d’affaires . À un moment, il va falloir que le gouvernement tape du poing. En France, on est très bon pour dire, surtout en période électorale ».
Défendre la pêche artisanale
Non loin, La Soupape de David Piraud ne figure pas non plus sur les listes des « happy few » qui pourront à nouveau poser filets, dragues ou casiers chez le voisin jersiais. David Piraud savait depuis longtemps que la Soupape serait boutée hors de Jersey. « Cela fait neuf ans que j’ai mon bateau. J’alternais de la Manche Est et Jersey. Mais pour les preuves d’antériorité, ils ont pris les trois années où je n’ai pas pêché à Jersey… » David Piraud a la colère froide. « C’est un tout. Je suis en colère contre les Anglais qui n’ont jamais joué la carte de l’honnêteté, contre la France et l’Europe qui ne défendent pas la pêche artisanale française tout en laissant le champ libre aux bateaux usines d’une pêche invasive venue de Hollande ; colère contre les projets éoliens off-shore qui réduisent nos – déjà – petites zones de pêche. Quand la pêche artisanale va se casser la gueule, ce sont des centaines de familles à terre qui vont payer la note… »
Même pour ceux qui sont sur la liste des licences définitives, la méfiance est de mise. « C’est une chose d’être sur la liste, confirme Jean-Marie Lallemand, le patron du Héra. Mais on va voir quelles restrictions accompagnent les licences ! » Ces patrons bien installés s’inquiètent pour l’avenir. « Qu’en sera-t-il demain pour nos jeunes ? Si je veux vendre mon bateau à mon second, aura-t-il ses droits de pêche ? »
« Une génération sacrifiée »
« Il faut éviter le viager, ajoute Franck Leverrier, patron du Tibériade et du Cœlacanthe. Je suis à trois ans de la retraite. Un tiers des patrons granvillais partiront comme moi dans les trois ou quatre ans. Nos droits partiront-ils avec nous ? À moins de rester nous-mêmes armateurs-propriétaires jusqu’à 70 ans, il y aura une génération sacrifiée… »
De la parole aux actes
Les pêcheurs vont-ils se remobiliser comme ils l’ont fait le 6 mai à Jersey et dernièrement lors des manifestations contre les éoliennes en mer à Cherbourg et au Havre ? « C’est compliqué car c’est le début de la coquille et chacun doit sauver sa saison, avance Guillaume Lenoir, patron du Briscard, lui aussi absent de la liste des licences définitives. Et là, c’est comme un trop-plein. On est épuisé de ce va-et-vient, j’en perds mon latin. On ne représente que dalle électoralement, j’ai peur qu’on nous abandonne. »
Les élus locaux affirment pourtant faire front. « Nous attendons enfin un engagement ferme de la Commission européenne, tempête le député LREM de la Manche, Bertrand Sorre. Je propose que soit nommé immédiatement un négociateur qui reprenne point par point les termes de l’accord de Brexit. Il faut que soient actées sans tarder les conditions de transfert en cas de transmission des navires, comme la question des navires remplaçants. »
La députée européenne Stéphanie Yon-Courtin est elle aussi fâchée. « On se demande si la Commission européenne a quelque chose à faire de la pêche française. Quelle est la valeur de notre parole politique après ça ? Nous avons été naïfs alors qu’il fallait se montrer ferme, dès le début. » La parole politique… Les pêcheurs y croient-ils encore ?
L’heure est à la rétorsion. Pour Annick Girardin, la ministre de la Mer, qui réunissait les représentants des pêcheurs, mercredi 29 septembre, à Paris, il n’y a plus d’échéance
. Après la communication des dernières licences octroyées à des bateaux français par le Royaume-Uni et le bailliage de Jersey, elle lance un ultimatum au gouvernement de Boris Johnson.
Je demande aux professionnels de me laisser quinze jours pour préparer notre riposte
, a indiqué Annick Girardin à l’issue de la réunion au ministère de la Mer. Un délai au terme duquel Londres devra s’attendre à des mesures de rétorsion de la part de l’Union européenne ou de la France… Et au-delà duquel, il sera sans doute difficile de contenir la colère des pêcheurs sur la Manche. Sauf si, bien entendu, les réponses nous arrivaient entre-temps.
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Pour la ministre, la première réaction doit venir de l’Europe. La question des licences de pêche peut paraître toute petite à l’échelle de l’accord commercial post-Brexit, mais elle montre la mauvaise volonté des Britanniques
, estime-t-elle. Par solidarité, donc, et pour éviter la remise en cause d’autres parties de l’accord, il faut que la commission annonce les mesures qu’elle va prendre
.
150 licences rejetées
Nous allons aussi réfléchir, au niveau interministériel, en France
, ajoute la ministre qui n’a pas hésité à faire un catalogue des domaines dans lesquelles la France pourrait réagir : Outre la fourniture d’énergie [à Jersey], nous pouvons intervenir sur les conditions d’accueil des étudiants britanniques en France, le ferroviaire, les flux commerciaux…
Car l’État français restera évidemment aux côtés de ses pêcheurs
, a affirmé peu avant le porte-parole du gouvernement. Les pêcheurs avaient reçu une première douche écossaise, mardi 28 septembre, dans la soirée, avec l’annonce de la délivrance de douze licences pour la zone des six à douze milles autour de la Grande-Bretagne. Au total, seules cent licences ont ainsi été accordées sur les 175 demandées
, prend acte Annick Girardin. Même déception, le lendemain pour les zones de pêche entourant Jersey. Soixante-quinze licences ont, là aussi, été rejetées.